Comment se sauver du socialisme sans révolution?

La manière suisse romande de traiter les critiques de la fiscalité suisse proférées par un membre du cortège électoral de Ségolène Royal a quelque chose de cocasse.

Avant-hier, la TSR (télévision suisse romande) proposait à un socialiste suisse de répliquer à ces critiques. Et hier soir, pour changer, elle donne la parole à une socialiste suisse, la présidente, pour 2007, de la Confédération, Micheline Calmy-Rey. Au-delà du déséquilibre flagrant des arguments proposés au public à travers un choix d’invités aussi unilatéral (2007 est une année électorale en Suisse, et la TSR a visiblement certaines préférences), la chose est cocasse surtout car si la gauche suisse réalise ses objectifs affichés, il y a fort à parier qu’elle perdra aussi les avantages fiscaux critiqués aujourd’hui en France (et à Bruxelles) au nom même de la gauche.

Car tout ce que veut la gauche d’une manière générale — un système de santé unifié, unique; une harmonisation étatique de l’enseignement et de la formation; de solides protections des travailleurs, appuyées par des syndicats puissants; des dispositifs étendus de redistribution des richesses; une diplomatie axée sur l’apaisement; des projets (volontiers mondiaux) inspirés par des idéaux égalitaristes et écologiques –, la France l’a déjà réalisé. L’État, devenu une énorme machine administrative, y prend soin de tous ces éléments essentiels de la vie sociale jusqu’à devenir l’interlocuteur privilégié des Français pour un très vaste éventail de questions. L’État y est très présent aussi dans la vie médiatique, y contrôle de grands quotidiens, des chaînes de télévision et même une agence de presse. Une préfiguration très fidèle, vraiment, de ce que la gauche suisse prépare à ses adeptes — gageons que l’attrait fiscal helvétique n’y survivra pas.

Ainsi, le courroux vaguement nationaliste des socialistes suisses contre les socialistes français n’est guère qu’une tempête dans une tisane de pensée unique. Car que reste-t-il, dans un tel système, de la droite, la vraie, dont le credo essentiel sur toutes ces questions consiste à restreindre au maximum l’importance de l’État, car elle considère qu’un État trop bien installé est un danger potentiel pour ses citoyens, et pas seulement au niveau fiscal — rappelons que les fascistes, comme les communistes, ont absolument besoin d’un État puissant; ils arrivent donc tous deux au pouvoir en usant, au moins, des charmes insensibilisants du socialisme.

Qu’on y pense, donc, en écoutant ces charmeuses et charmeurs professionnels: quel système d’essence socialiste arrivé à maturité a jamais produit une civilisation innovante, créative, exemplaire — ou seulement viable? Mais surtout, s’il est relativement facile de corriger les erreurs d’un système peu étatisé, et donc d’évoluer, comment revenir d’une erreur socialiste? Que faire en France, par exemple?

Lorsque l’État est le premier employeur d’un pays, le retour à la droite authentique équivaut à fermer un grand nombre des filiales de la principale «entreprise» de l’économie, et c’est en principe aussi la plus protégée, et il faut pour cela contrer un énorme courant d’opinion désinformée par les médias aux ordres de la classe dirigeante, qui décide ainsi de la rectitude politique du moment. Et tout projet participatif, qui respecterait les filières politiques en place, est fortement compromis par la nature même du système: l’État, surdimensionné, devenu terriblement complexe, ne peut plus être gouverné que par des professionnels formés tout exprès dans ce but, et réduire l’État est bien le dernier des intérêts, et la dernière des pensées, de tels spécialistes.

La seule voie salvatrice devant cette aliénation semble alors souvent être la révolution, une voie extrêmement difficile à négocier pacifiquement, surtout en France, où l’on donne si volontiers un grand R à cette rage destructrice. À cet égard, il vaut la peine d’examiner le projet de la Révolution bleue, qui diffuse des chroniques hebdomadaires sur Internet. 

À noter que le projet prévoit (point 2) l’introduction de ce que nous appelons en Suisse le droit de référendum et d’initiative populaires. J’avais participé, en son temps, à l’élaboration de ce programme «révolutionnaire», ou tout au moins à son processus de consultation, et la présence de ces droits est peut-être la trace de mes recommandations. Mais ma proposition consistait en fait à remplacer la révolution elle-même par une lutte politique visant à l’instauration de ces droits. Puis d’imposer les autres points par ce biais. Car je pense que ces éléments de démocratie directe sont indispensables — et suffisants, dans le monde moderne — pour révolutionner une société malade sans trop risquer de blesser les principes de base des démocraties (dignes de ce nom).

Et c’est sans doute grâce à ces deux droits qu’en Suisse aussi, nous pourrons résister, notamment cette année, à l’erreur socialiste. Grâce à eux et à une information non filtrée du public. Et peut-être aussi à certaines remises en question du financement de certains médias, comme la TSR. 

AJM

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