Francis Richard : grève SNCF, égalité et avantages acquis

sncf.jpgHier soir j’ai eu l’idée sotte et grenue de prendre le TGV pour Paris en gare de Lausanne.

Au préalable j’avais fais le numéro vert de la SNCF, le 0900 300 300. Le train 9272 circulait normalement, selon les dires de cette boîte vocale, mise à la disposition des « usagers » en cas de grève. Le train 9272 a effectivement circulé normalement… jusqu’à Vallorbe. Là pas de personnel français pour relayer le personnel suisse.

Il a fallu attendre une heure que le personnel français apparaisse. Résultat du voyage : une heure et vingt minutes de retard à l’arrivée à Paris Gare de Lyon. Là pas d’enveloppe de retard, seulement de plates excuses, ce qui ne coûte rien. Pas de RER A non plus, seulement une ligne 1 d’un métro bondé que j’ai pu prendre. Il paraît que je suis chanceux…

Il est intéressant de savoir pourquoi les « agents » de la SNCF font grève, c’est-à-dire n’agissent plus : parce que le président Sarkozy veut tenir sa promesse électorale de s’en prendre entre autres au régime spécial de retraite de la SNCF et notamment aligner la durée de cotisation actuellement de 37 ans et demi sur celle du régime général qui est de 40 ans et relever l’âge minimal de la retraite qui est de 55 ans (50 ans pour les agents de conduite) après 25 ans de service. Un cautère sur une jambe de bois.

Au nom de l’égalité de traitement le président Sarkozy a pris le risque de dresser contre lui cette citadelle d’avantages acquis qu’est la SNCF. Il croit ainsi se donner le beau rôle. Ce principe d’égalité – il devrait le savoir – ne correspond à rien dans la réalité. Son application, en l’occurrence, est aussi utopique que le type de retraite adopté en France et que nous connaissons pour partie en Suisse avec l’AVS. Il s’agit de la retraite par répartition, qui est, en fait, une redistribution, avec tout ce que ce mauvais procédé comporte d’inéquité et d’arbitraire.

L’augmentation de la durée de cotisation et de l’âge minimal de retraite est d’ailleurs comme l’arbre qui prétend cacher la forêt. En effet ce n’est pas deux années et demi de cotisation supplémentaires, ni le relèvement de l’âge minimal de la retraite qui vont résoudre le problème du régime spécial de retraite de la SNCF.

Il faut savoir en effet que, d’après la Commission des comptes de la sécurité sociale (CSS), en 2003, il y avait dans ce régime de retraite de la SNCF 178 062 cotisants pour 193 000 retraités de droits directs et 115 100 retraités de droits dérivés. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que ce régime de retraite par répartition ne puisse pas se financer sans l’aide … des contribuables, qui payent plusieurs fois leur billet de train, à condition qu’ils prennent le train, sous des formes diverses dont l’impôt est la plus importante.

La CCSS, toujours en 2003, donne une masse des pensions de 4 milliards 558 millions d’euros. Comment sont-elles financées ? A hauteur de 2 milliards 345 mllions d’euros par les contributions publiques. Les cotisations ne représentant que 1 milliard 717 millions. C’est-à-dire que plus de la moitié provient de la poche des Français et beaucoup moins de la moitié de celle des « agents » de la SNCF.

Le plus beau dans tout cela est que les agents de la SNCF ne se rendent même pas compte qu’ils sont des privilégiés. Nombre d’entre eux votent à gauche, voire à l’extrême gauche si affinités. Ils devraient être sensibles à l’argument d’égalité pour lesquels ils ne sont pas les derniers à militer, en théorie. Dans la pratique ils appliquent à leur bénéfice l’adage orwellien selon lequel il y a des hommes – et des femmes – plus égaux que les autres.

Le grand argument qu’ils brandissent est l’avantage acquis qui, en France, fait l’objet d’un véritable culte. Historiquement un avantage est toujours la compensation d’un inconvénient, un droit la contrepartie d’un devoir. Or quand l’inconvénient ou le devoir disparaissent, l’avantage ou le droit restent en France. Il n’y a pas adaptation. L’âge de la retraite à 50 ans pour les agents de conduite SNCF, par exemple, remonte au temps des trains à vapeur et à une époque où la longévité était de vingt ans sinon plus inférieure à celle d’aujourd’hui.

Nous verrons bien si le gouvernement choisi par le président Sarkozy arrivera à bouger les choses. S’il y parvient, rien ne sera vraiment résolu, comme on l’a vu, mais au moins le processus d’abolition des privilèges, pudiquement baptisés avantages acquis, sera amorcé. Autrement…la France continuera de caresser des chimères, comme le président Chirac lui a si bien appris à le faire.

Francis Richard