Francis Richard : Le vert est mis: Recordon versus Blocher

Il y a deux conceptions de la démocratie. La première conception consiste à tenir compte de toutes les différences, qu’elles soient linguistiques, confessionnelles ou politiques. Elle permet d’éviter qu’une majorité n’exerce sa dictature à l’encontre de minorités, et elle garantit paix sociale et politique. La seconde conception consiste à n’en pas tenir compte. Dans ce cas-là une éventuelle majorité hétéroclite, et de circonstance, peut bien exclure des responsabilités la ou les minorités restantes, importantes ou non.

Jusqu’à présent la Suisse s’est distinguée parmi les démocraties occidentales par la mise en œuvre de la première conception et ceci à tous les niveaux : communal, cantonal et fédéral. Le mode de scrutin proportionnel adopté le permet. Cette façon de faire n’est pas la plus confortable qui soit puisqu’elle oblige des représentants de points de vue différents à s’entendre et à trouver des compromis. C’est ce qu’il convient d’appeler la concordance. En cas de désaccord persistant le peuple est appelé à trancher et a le dernier mot.

Les écologistes veulent remettre en cause cet équilibre des forces. En décidant de présenter Luc Recordon contre le seul Christoph Blocher – décision qui doit encore être confirmée par leur assemblée de délégués –, leur  groupe parlementaire veut dresser les représentants de 71% des électeurs contre ceux des 29% restants. Il rompt par là même avec un des fondements de la démocratie helvétique qu’il prétend défendre. Si le camp bourgeois avait appliqué cette conception au détriment du parti socialiste, celui-ci n’y aurait jamais été représenté. Faut-il donc aujourd’hui le regretter ?

La ligne politique de l’UDC déplaît d’autant plus aux écologistes qu’elle gagne du terrain à chaque élection et qu’elle est contraire en bien des points à la leur. Cette ligne politique ne s’impose pas davantage que les autres lignes politiques, toutes minoritaires. Elle est même largement débattue, et combattue. Mais il est avéré qu’elle n’est pas rejetée en bloc par l’ensemble des électeurs qui n’ont pas voté pour elle. Sur tel ou tel point de cette ligne politique, il est même avéré qu’une large majorité d’électeurs se prononcent quand ils en ont l’opportunité. C’est embêtant, n’est-il pas ?

Les écologistes sont donc simplistes dans leur façon de présenter les choses. Mais ils ne sont pas seulement simplistes, ils travestissent la vérité. Si l’on en croit D.S. Miéville dans « Le Temps » du 24 novembre 2007, le candidat à la candidature Recordon prétend que la ligne politique de l’UDC remet en cause « les valeurs fondamentales d’une société libérale ». Or on l’a vu c’est justement en imposant la dictature d’une majorité que la société libérale est secouée dans ses fondements, ce que les écologistes aimeraient bien faire pourtant. L’UDC, accusé de tous les maux, n’en déplaise à Monsieur Recordon, n’a jamais joué ce jeu-là. Du moins jusqu’à présent.

Les Verts, toujours selon D.S. Miéville, en présentant la candidature de Luc Recordon contre le seul Christoph Blocher, « n’auraient ainsi pas d’autre ambition que de faire en sorte que « le Conseil fédéral ne soit composé que des gens dignes d’y être » ». Ce n’est pas tordre le sens de cette déclaration que de comprendre que, pour les Verts, Christophe Blocher ne serait donc pas digne d’être Conseiller fédéral mais que Luc Recordon lui le serait,  quand bien même l’UDC pèserait trois plus que les Verts en nombre de suffrages.

Pardon, j’oubliais que Christophe Blocher c’est le diable en personne et qu’en conséquence il n’a pas sa place dans le saint des saints, c’est-à-dire au Conseil fédéral. Recordon ne retirerait sa candidature que si un autre exorciste, je veux dire un bourgeois anti-Blocher, se présentait à sa place. En somme n’importe qui, même un bourgeois, ce qui est une terrible concession pour des gens de gauche, ferait l’affaire du moment que Christoph Blocher ne serait pas réélu le 12 décembre prochain.

Si ce n’est pas un procès en sorcellerie qui est instruit contre Christoph Blocher, c’en est bien un en diablerie. En effet ce diable Blocher est accusé, donc coupable – la présomption d’innocence n’est pas faite pour les chiens, encore moins pour les moutons noirs – de ne pas respecter la collégialité, les institutions du pays et la séparation des pouvoirs. Rien de moins. Que ces accusations sans preuves tombent les unes après les autres, comme, semble-t-il, dans l’affaire Roschacher, n’a aucune importance. Il n’y a pas de fumée de Satan sans feu et les pyromanes verts, roses ou rouges, ou d’autres couleurs, peuvent dormir tranquilles, leur devoir de nuisance accompli.

Francis Richard