SSR : Cette « putain » de « croyance catholique », pas une foi selon l’AIEP

L’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) vient de rendre une décision controversée d’où il ressort que le catholicisme ne serait pas une foi digne de protection devant la loi.

Dans l’affaire de la chanson anti-chrétienne diffusée sur la RTS le Vendredi-Saint 3 avril 2015 (1), l’AIEP vient, par décision du 26 octobre – rendue publique il y a peu – de débouter la trentaine de plaignants cosignataires.

A l’instar de l’armée ou des tribunaux ecclésiastiques du Moyen Age, les médias publics helvétiques disposent du privilège d’une instance propre en cas de litige, l’AIEP. Sorte de tampon entre les élites médiatiques et le vrai monde, l’AIEP s’est changée en quelques années, par le jeu des trafics jurisprudentiels, en tour d’ivoire du droit de certains – bien nommés, jamais élus – de dominer les autres. Où quand la raison des tribunaux se substitue lentement au droit des peuples.

La soupe est pleine

En effet, il y a près de quinze, la décision « La soupe est pleine » (AIEP b. 460 du 21 mars 2003) – la première à présenter une opinion dissidente -, fracturait la protection de la liberté de croyance au prétexte de ce que l’humour et la satire doivent être pris « comme un tout« . En clair, une insulte directe n’est rien si celle-ci est comprise dans un ensemble de programmes qui n’est pas insultant.

C’est d’ailleurs l’argumentation choisie par la RTS dans le cas qui nous occupe :

Force est également d’admettre que la RTS est soucieuse de permettre à d’autres courants d’opinion de s’exprimer et d’apporter des éléments pondérateurs de manière à ce que l’ensemble de ces programmes soit équilibré. A ce propos, si Couleurs 3 égratigne effectivement le sujet, La Première et Espace 2 ont notamment retransmis des sujets d’information sur Pâques, y compris des offices religieux (culte et messe) retransmis de diverses paroisses de Suisse romande (2).

En clair, parce que la RTS parle convenablement de religion sur d’autres chaînes, elle a quartier libre pour commettre les infractions qui lui chantent, celles-ci devant être considérées comme faisant partie d’un « tout« . Ce n’est que dans l’éventualité où la SSR consacrerait l’entier des émissions de ses 24 chaînes à conspuer la foi d’autrui qu’elle risquerait un vague rappel à l’ordre. Brillant !

Satire à vue

La vocation de l’AIEP se résume à protéger la liberté d’expression sous réserve de quelques limites bien précises :

Toute émission doit respecter les droits fondamentaux. Elle doit en particulier respecter la dignité humaine, ne pas être discriminatoire, ne pas contribuer à la haine raciale, ne pas porter atteinte à la moralité publique et ne pas faire l’apologie de la violence ni la banaliser (3).

Mais attention, l’acception de ces droits fondamentaux relève de son libre arbitre. L’AIEP n’est pas concernée par l’Etat de droit et la protection des droits humains selon l’interprétation des textes fondateurs de la démocratie. La Déclaration des droits de l’homme, ça ne la concerne pas et elle ne se prive pas de le rappeler dans sa décision.

Elle n’est pas plus liée par la charte déontologique de la RTS, qui reconnaît, au chapitre « Satires / Humour« , que :

Les émissions satiriques et humoristiques bénéficient également d’une protection accrue, en tant que mode d’expression de la liberté d’opinion, à condition toutefois que le caractère satirique, respectivement humoristique d’une représentation ou, d’une émission soit clairement reconnaissable par le public. Les limites à cela ont trait à la protection de la dignité humaine et la protection des sentiments religieux. En outre, ceux-ci ne doivent pas faire l’objet d’une atteinte notable.

Vous l’aurez compris, personne n’est contraint par rien et ces déclarations grandiloquentes ne sont là que pour la vitrine.

Le but du jeu

La manœuvre, toute jurisprudence et doctrine confondues, sera de déterminer s’il s’agit bien de « satire« , si celle-ci peut être comprise dans un « ensemble« , si cet « ensemble » constitue en lui-même une « atteinte » et si cette « atteinte » porte sur des « éléments essentiels de la foi » (et non sur les institutions ou leurs représentants) et, enfin, si celle-ci peut être vue comme « notable« . Ne cherchez pas la définition de notable dans ce contexte, elle n’existe pas, c’est magique, c’est comme ça.

Pour la satire, ne cherchez pas non plus, ce sont eux qui décident. L’intention subconsciente du fauteur fait droit. Ici, le simple fait de vouloir considérer que les émissions de Couleurs 3 s’adressent à un public jeune suffit. Idem pour le tour de passe-passe de l' »ensemble« . En gros, les plaignants ne pouvaient prendre ombrage de ce que le chroniqueur se soit « inspiré des fêtes de Pâques« , sur « un ton léger et décontracté« , pour « livrer aux auditeurs son message de la Pâques commerciale et du business qu’elle génère dû à la vente de chocolat« . Oui car c’est uniquement pour délivrer un message essentiel sur les excès de confiseries que M. Fantin Moreno a roulé la croyance de ses contemporains dans la boue.

Passons à l’atteinte à la liberté de croyance. En préambule, précisons que l’AIEP a déjà entendu parler du catholicisme (4) et qu’elle n’ignore par conséquent rien de son existence. Seulement voilà, pour l’AIEP, ça parle de Pâques donc ça vise le christianisme. Pas le catholicisme, le christianisme, détail qui prend soudain toute son importance :

La deuxième phrase du couplet critiqué emploie le terme « putain » pour qualifier la « symbolique » des « miracles et des saints ». Toutefois, ce terme cru ne revient pas à rabaisser, injurier ou mépriser le culte des saints et des miracles, élément de la croyance catholique, qui ne constitue pas un élément essentiel de la foi chrétienne.

En outre, pour l’auteur de la chanson cette même symbolique est « humoristique » (première phrase). En employant ce mot, il n’a pas voulu ridiculiser la foi chrétienne mais a voulu signifier que ce qui allait suivre devait être pris avec humour.

Emballé c’est pesé. D’une, « putain » n’est pas une insulte puisqu’il y a – dans un contexte tout aussi discriminant – le terme « humoristique » une ligne plus haut. De deux, il n’y a pas d’atteinte à un élément essentiel de la foi puisqu’une partie des chrétiens, les protestants, ne vouent pas de culte aux saints. Cette curieuse façon de penser apporte plus de problèmes qu’elle n’amène de solutions : Considération discriminatoire du catholicisme qui ne serait qu’une sous-traitance du christianisme réformé, qui n’aurait pas accès à sa propre considération de la fête de Pâques, qui ne pourrait vivre sa religion sans en devoir les fondements à autrui ; idée que les protestants ne croient pas aux miracles ; rabaissement des catholiques qui ne pourraient être atteints puisque d’autres religions ne l’ont pas été. Considérer que l’atteinte ne peut être réalisée que si elle touche une autre croyance que celle des catholiques met bien en évidence ce fait que l’AIEP ne prête même pas au catholicisme le bénéfice de l’existence. Disons-le clairement, c’est proprement grotesque et l’AIEP n’a pas craint de se couvrir de ridicule en publiant pareille ineptie sans prendre même la peine de se relire. Mais il y a mieux.

L’ombre du prophète Isa

Exit le catholicisme, concentrons-nous sur ce qui reste du christianisme. Le Christ est-il un Dieu, un Messie ou un prophète ? L’AIEP se tâte : « Dans l’islam, Jésus est appelé « Îsâ » et a été le dernier grand prophète avant Mahomet« . L’exégèse coranique à l’appui de la reconnaissance des fondements de la doctrine chrétienne. Tout va bien, si l’Islam dit que le Christ est un prophète, il ne saurait s’agir d’une contestation railleuse du point le plus essentiel de la foi chrétienne. On l’a échappé belle.

L’incohérence atteint ici des sommets inégalés, c’est précisément parce que l’auteur a voulu proférer une « moquerie » que la foi n’a pas été ridiculisée. Allez comprendre :

L’auteur du couplet a voulu faire de l’humour et les auditeurs ont reconnu la moquerie […] On ne peut ainsi pas affirmer qu’un élément essentiel de la foi a été ridiculisé, méprisé ou injurié.

Mais tout à coup, patatras :

La sixième et la septième phrase [sic] relèvent « 3 jours après ressuscité ! C’est sûr y a pas à dire, cette histoire est très crédible ». L’auteur met ici en doute de manière moqueuse voire niaise et méprisante l’élément fondamental de la preuve de la croyance chrétienne : la résurrection. Or, pour les chrétiens, Pâques est sans conteste la fête annuelle la plus importante, car elle contient le message essentiel de la résurrection et de l’espérance. Sans la résurrection de Jésus-Christ, il n’y aurait aucune espérance pour les croyants chrétiens, tous unis par la foi au Christ ressuscité. Sans la résurrection, Jésus-Christ ne serait plus le Sauveur (Jean Ansaldi, théologue protestant, Dire la foi aujourd’hui – Petit traité de la vie chrétienne, Aubonne 1995). La résurrection est un élément essentiel de la foi et de la théologie chrétienne, énoncé dans le crédo-symbole de Nicée-Constantinople (texte datant de 381). Dans les deux phrases du couplet contesté, la résurrection est ainsi ridiculisée, voire niée.

La foi protestante, théologien réformé à l’appui, est atteinte de plein fouet. Que l’on se rassure, l’atteinte n’existe en droit que si l’élément de foi « a été touché de manière notable« . La réponse est un monument de mauvaise foi, qui prendra prétexte de la disparition du sentiment religieux chez les chrétiens eux-mêmes pour juger de la nature de l’atteinte :

Pour certains chrétiens, cette fête rime plutôt avec chocolat, lapins, œufs et commerce, oubliant les valeurs mêmes de la célébration de cette fête religieuse. C’est cette critique sur la commercialisation de la Pâques religieuse pour les chrétiens qui est au centre de la chanson « Pâques-Man ». En conséquence, compte tenu du contexte de la chanson, le couplet critiqué ne porte pas une atteinte notable à un des éléments essentiels de la foi chrétienne.

L’AIEP avait dissous les catholiques dans le bassin saumâtre de son étroitesse d’esprit, le tour était venu des chrétiens croyants et pratiquants.

Ils ont le droit, tous les droits, vous n’en n’avez aucun. A la bêtise inconséquente d’une imagination médiocre en mal d’inspiration, l’AIEP vient ajouter cette expression précise et accomplie du principe même de la discrimination, la négation de l’autre. Négation qui est, et sera, toujours, le premier ferment des tyrannies.

Noël Macé

Décision de l’AIEP du 26 octobre 2015

NOTES

(1)

A Pâques, le truc humoristique, c’est cette putain de symbolique des miracles et des saints, c’est toujours le même refrain, mais faut bien faire tourner boutique.

Un prophète mort et enterré, trois jours après ressuscité, c’est sûr, y a pas à dire, cette histoire est très crédible, mais le business c’est ma seule bible…

Fantin Moreno, « le chantage du vendredi » de l’émission « One-two » du vendredi 3 avril 2015, de 09h00 à 10h00 sur Couleurs 3 (http://www.rts.ch/…/6636178-le-chantage-du-vendredi-03-04-2…; dès 01:24 ).

(2)

Prise de position RTS du 15 septembre 2015.

(3)

Art. 4 al. 1 LRTV

(4)

Décision de l’AIEP b. 453 du 23 août 2002.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *