Le rapport pose un certain nombre de
notions abstraites et libres d'interprétation: 'Qualité
de vie', 'motif non égoïste'; et construit tout son
raisonnement sur le sable de ces nouveaux critères pour en tirer
des conclusions dont il serait risqué d'oser contester
l'exhaustivité et qui prennent valeur de dogme tant elles sont
rabâchées par les médias et défendues avec
fermeté. C'est donc tapis derrière la réthorique
de la prudence, masque de la sagesse, et relativisant l'impact de leur
rapport, le qualifiant d'"étape supplémentaire", que les
membres de la CNE franchissent le Rubicon à pieds joints et
ouvrent grande au monde médical la porte de l'euthanasie active
directe, son lot de pression, de chantage, de désespoir,
d'influence, en un mot, d'humanité.
L'argumentation
morale, au sens strictement religieux du terme, est un modèle du
genre en matière d'éclipse mentale: Après avoir
cité (p.16) le "rigorisme d'Augustin", la CNE se penche sur
cette citation de Thomas d'Aquin: "La vie est un cadeau fait par Dieu
à l’homme et soumis au pouvoir de celui qui “tue et
vivifie”. Pour cette raison, celui qui se prend sa vie
pèche contre Dieu, comme celui qui tue un esclave offense celui
auquel l’esclave appartient, et ainsi pèche celui qui
prend sur lui une décision qui ne lui appartient pas. La
décision sur la vie et la mort appartient seulement à
Dieu", et s'interroge, sans apporter de réponse, sur ce fait que
les réflexions de Thomas sur le suicide "renvoient non pas tant
à des considérations sur la nature de l’homme et
sur sa liberté morale qu’à une vision
particulière de la souveraineté de Dieu sur l’homme
lui-même". Donc, en pratiquant le suicide, l'homme ne
pècherait pas contre lui-même mais contre Dieu,
prétendument propriétaire de l'homme, et comme l'on part
du principe que "Dieu" n'est qu'une idée... Cette nuance
qui n'en est pas une suffit à conclure comme suit:"On peut se
demander si une telle interprétation correspond à la
vision biblique des rapports entre la souveraineté de Dieu et la
liberté de l’homme devant Lui. Ce n’est pas
l’endroit ici pour donner une réponse accomplie à
cette interrogation. Limitons-nous à constater l’absence
d’une doctrine explicite du suicide tant dans les écrits
de l’Ancien Testament que dans ceux du Nouveau Testament ; dans
ces récits, la pratique suicidaire est évoquée
comme allant presque « de soi », sans qu’il soit
tenté d’en donner une justification ou une
réprobation éthique détaillées". Et c'est
tout, et c'est cela qui, en règle générale, va
servir d'argument au corps médical et faire taire les personnes
d'avis contraire. Ce n'est pas suffisant.
Le rapport comprend
plus de 80 pages, et cependant les lacunes y sont nombreuses: P. 35,
les définitions de l'euthanasie, ignorant les aspects direct et
indirect des euthanasies active et passive, sont incomplètes. P.
44-45, les arguments en défaveur du suicide médicalement
assisté sont volontairement abstraits et insignifiants. P. 59,
le rapport reprend dans les grandes lignes un précédent dossier,
publié en 2004, où la CNE, traitant du suicide
assisté des enfants, affirmait: "A propos des enfants et des
adolescents qui demandent qu’on les aide dans leur suicide, il
existe un espoir que leur désir d’en finir disparaisse
dans les phases ultérieures de leur existence. Les enfants et
adolescents sont particulièrement influençables, selon
les circonstances extérieures et les opinions d’autrui.
Leur compréhension de soi est souvent encore fragile, au point
que des désavantages extérieurs ou des conflits
intérieurs peuvent les ébranler profondément.
C’est pourquoi ils sont particulièrement sujets à
de subites tentatives de suicide. Même dans le cas d’un
enfant souffrant d’une maladie incurable en phase terminale, le
pôle de l’aide à la survie doit être
prioritaire. Toutefois, comme les enfants peuvent en un tel cas refuser
des traitements médicaux, on ne peut exclure d’entrer en
matière sur une demande d’assistance au suicide en phase
terminale". La CNE fait l'impasse sur les réserves
exprimées en 2004 et, si elle reconnaît toutefois que "les
parents n’ont pas le droit de vie et de mort sur leur enfant",
elle donne ce droit au médecin sans hésiter. P. 70, la
position majoritaire est favorable à l'euthanasie d'enfants et
d'adolescents.
La IVe partie du
rapport de la CNE, "Recommandations sur l’assistance au suicide",
ressemble fort à un manuel d'utilisateur à destination du
corps médical, susceptible de vouloir varier l'offre de son
établissement en accédant à ce nouveau
créneau. On sent d'ailleurs le soin avec lequel la CNE cherche
à couvrir le business du "tourisme de la mort", qui donne
pourtant si mauvaise réputation à nos institutions
médicales.
La philosophie qui
sous-tend l'ensemble de la publication n'est ni sincère ni
convaincante, le postulat qui soutient l'édifice: "un homme qui
souffre n'est plus un homme à part entière", est
proprement inacceptable mais cadre parfaitement avec les
velléités eugénistes dont la CNE a fait preuve
à plusieurs reprises.
Le sujet
(favorable) de la TSR