Observatoire des médias: Avortement, comment la presse romande nous bourre le mou

Interview. Le 11 février dernier, Mme Lucie Sillig, une pigiste du 24 Heures, commentait comme suit une brève sur les nouveaux chiffres de l’avortement, en légère augmentation, publiés par l’Office fédéral de la statistique: "Fervente opposante au régime des délais, l’Aide suisse pour la mère et l’enfant (ASME) conteste les chiffre avec une mauvaise foi crasse. Reste qu’on est loin des 16.000 avortement supplémentaires par an que l’organisation brandissait en guise d’épouvantail au temps de la votation". La brève commençait par: "Contrairement à ce qu’affirme ses opposants, le régime des délais n’a pas fait augmenter le nombre d’avortements en Suisse", c’était ce qu’il convenait de démontrer; avec le coup de la "mauvaise foi crasse", Mme Sillig pouvait être assurée d’amener le lectorat à son opinion.

Léger problème toutefois, ce chiffre de 16.000 avortements supplémentaires ne sort de… nulle part. "Je l’ai tiré des archives", confesse Lucie Sillig, "vu qu’ils (l’ASME) n’ont pas rectifié à l’époque… je n’ai pas cru bon de rectifier". C’est avec ce genre de qualité d’ouvrage que les horizons mentaux se façonnent et que les populations se mènent sagement par le bout du nez. Rappelons encore que l’ASME est une association bâloise et que la lecture de la presse lémanique ne fait, fort heureusement d’ailleurs, pas partie de ses préoccupations majeures (on n’ose imaginer ce qui se passerait si les les blogs se mettaient à ce petit jeu-là).

Recherche faite, ce chiffre publié en 2001 et repris en 2006 découle d’un article reprenant une affiche de l’ASME contre la solution des délais, laquelle prévoyait que la légalisation de l’avortement causerait un total de 300.000 victimes d’ici à 2020; projection tout à fait vraisemblable. En 2001 déjà, le 24 Heures avait tenté le tout pour le tout en parlant de 300.000 victimes "de plus"; pourquoi changer un truc qui marche…

Mme Sillig tient dur à son os: "Dans la mesure où ils n’ont pas fait de rectificatif, c’est tout naturel qu’un média se base sur ses archives", et de se rabattre courageusement sur la "journaliste de l’époque", une sinistre anonyme, responsable de la faute originelle. De toute façon, c’est tant pis pour les méchants pro-vie qui n’avaients, somme toute, qu’à être abonnés; après tout c’est bien de leur faute!

Là où ça devient franchement marrant, c’est quand le Baf demande à cette extralucide de l’information si, à présent, elle serait finalement disposée à accorder un rectificatif: "Non!", répond-elle aussi sec avant de s’inquièter d’une identité qu’elle m’a déjà fait décliner à plusieurs reprises. Il faut la comprendre, un "vrai" journaliste ne s’autorise pas ce type de questions; la profession de serre les coudes d’ordinaire sur ce genre de cas.

Quant à "mauvaise foi crasse", Mme Sillig maintient: "Ils sont vraiment de mauvaise foi, puisqu’ils disent que les IVG ont augmenté, alors que les IVG ont augmenté de 107 cas d’une année à l’autre". Là, je dois avouer ne pas avoir saisi toute la logique, normal, je ne suis pas du métier depuis longtemps, mais je ne désespère pas. En outre, je ne suis pas surpris que 107 petites vies passées à la trappe soient considérées comme quantité négligeable par quelqu’un ne voyant pas la nécessité d’être exact pour "deux petites lignes" écrites au moteur de recherche.

Dernier recours, le courrier des lecteurs, mendier 1200 caractères pour laver son honneur sans garantie d’être publié, et, surtout, sans garantie de ne pas être censuré; ça se passe comme ça dans la presse propriétaire. La presse est libre en Suisse, mais seulement pour les journalistes. Lesquels devraient, d’ailleurs, veiller à ne pas trop se prendre pour Dieu, ou du moins pas trop souvent, de peur qu’à force de se citer les uns les autres ils n’en viennt à être les derniers à pouvoir se lire.

Interview avec Mme Lucie Sillig, journaliste au quotidien 24 Heures

Un autre exemple de désinformation organisée, la TSR

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