Francis Richard : L’extrémisme de Jacques Neyrinck

jacques-neyrinck.jpgL’habit ne fait pas le moine. Celui de démocrate-chrétien, revêtu par Jacques Neyrinck, ne le fait pas davantage. Sous l’apparence d’un vieux sage que lui donnent ses septante-six ans et une bonhomie rondouillarde, il y a plutôt un vieux singe qui connaît toutes les ficelles pour faire parler de lui et un bouillonnant extrémiste rentré. Il se dit au milieu de l’échiquier politique. C’est dire qu’il se trouverait nulle part. Il serait plus juste de dire qu’il fait partie du milieu politique, dont il a épousé les vices et les contours, et qu’il est représentatif de ce qu’il faut bien appeler le centre mou.

Pas si mou que cela pour ce qui le concerne. Parlez-lui de Christoph Blocher et vous verrez qu’à ce seul nom son sang ne fait qu’un tour. Son inimitié pour le ministre UDC doit bien remonter à 1992, c’est-à-dire au rejet par le peuple de l’Espace économique européen, rejet dont son ennemi préféré a été l’artisan et dont il a été a contrario le chaud partisan. Blocher est devenu sa bête noire depuis. Aussi, quand, en décembre 2003, ce mouton noir de Blocher a été élu au Conseil fédéral alors que lui n’était plus élu au Conseil national, a-t-il prédit les pires catastrophes pour son pays de naturalisation.

En bon marxiste, qui s’ignore, Jacques Neyrinck pense que la construction de l’Europe technocratique, et anti-démocratique, va dans le sens de l’histoire et que s’y opposer c’est manquer à la raison, et à un devoir de conformité historique. En dehors de l’Europe de Bruxelles, dont il est à peu près originaire – Uccle c’est à côté – il n’y aurait point de salut, refrain connu, éculé et éventé. Car il devrait savoir ce que ce refrain vaut, à l’aune des résultats obtenus.

En bon centriste mou, il rejette les socialistes d’un côté, les démocrates du centre de l’autre, qui pratiqueraient, tous autant qu’ils sont, la désignation de boucs émissaires. Pour les premiers les dits boucs seraient les riches, pour les seconds les étrangers (la réalité ne l’effleure même pas que des étrangers puissent abuser de l’hospitalité helvétique et que, sans être responsables de tout, ils le soient d’un certain nombre de dysfonctionnements). Mais on verra plus loin qu’entre les uns et les autres, son cœur de démocrate-chrétien ne balance pas vraiment et qu’il sait distinguer le bon grain de l’ivraie.

En bon jésuite il n’aime pas que l’on fasse de vagues. Faire des vagues serait incompatible avec un consensus mou, comme le centre qu’il appelle de ses vœux à régner. Exemple : bien que catholique déclaré, il n’a pas aimé, mais alors pas du tout, que Mgr Koch rappelle que l’Eglise catholique est la seule Eglise fondée par le Christ. Il feint de croire que ce message ne s’adressait qu’à « la dissidence intégriste catholique », parce que cette vérité le gêne aux entournures dans ses relations avec les autres chrétiens et qu’il croit, sincèrement, ou pas, qu’il ne faut pas employer de mots qui fâchent. Il refuse d’admettre, à tort, que rien de solide ne se bâtit sans une saine franchise, dépourvue d’animosité. 

En bon Suisse il est pour la concordance, mais pas n’importe laquelle. Ainsi le Conseil fédéral doit-il comporter en son sein tout le monde, à l’exclusion de ce mouton noir de Christoph Blocher, qui est l’empêcheur de décliner en rond et qui, de plus, viserait à détruire la concordance. On ne  prête qu’aux riches … de mauvaises intentions. Le mouton noir – horreur ! – a été introduit dans la bergerie helvétique, où, sans lui, régneraient, bien sûr, luxe, calme et volupté. Autre refrain connu.

Tout l’oppose donc à Christoph Blocher. Mais cette opposition est devenue chez Neyrinck un objet de fixation. Lors de la dernière élection au Conseil des Etats dans le canton de Vaud, il a complètement disjoncté. Comme la réélection de Christoph Blocher au Conseil fédéral serait pour lui l’abomination de la désolation, il veut tout faire pour l’empêcher. Comme au moins l’un des deux candidats de droite, parce qu’UDC, était susceptible de voter Blocher le 12 décembre prochain, une voix de trop à ses yeux, sans vergogne, il a rejoint le camp adverse au camp bourgeois auquel, en principe, il appartient.

Avant les élections fédérales Jacques Neyrinck s’est engagé, s’il était élu au Parlement, à ne pas élire Christoph Blocher au Conseil fédéral. Simple formalité pour lui. Sauf qu’il l’a fait sur le blog de la candidate socialiste Ada Marra. Avant le second tour de l’élection au Conseil des Etats, il a poussé le bouchon beaucoup plus loin. Il a non seulement appelé à voter pour la gauche rose-verte, mais il a distribué des tracts pour elle sur les marchés. Il a préféré jouer contre son camp plutôt que de se sentir responsable si peu que ce soit de l’élection de Christoph Blocher.

Nous verrons bien quel sera le résultat de l’élection du 12 décembre prochain, qui bénéficiera de toute façon à l’UDC et à Christoph Blocher, réélu ou non, du simple fait du poids de l’UDC dans le pays. Mais au-delà de cette élection, en partie grâce à la haine aveugle de Jacques Neyrinck, et à son extrémisme, deux sénateurs de droite, remplacés désavantageusement par deux sénateurs de gauche, manqueront sans doute à la droite pour d’autres décisions essentielles pour le pays.     

Francis Richard