Francis Richard : Et si Poutine choisissait l’ombre, tout simplement

Le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, a remporté un succès incontestable dimanche dernier. Certes on est loin des 99% de voix obtenues à la grande époque du parti communiste unique, mais 64% ce n’est pas tout de même pas mal, et somme toute plus décent. On en vient à regretter que le déroulement du scrutin n’ait pas été plus loyal, parce qu’il est probable que le résultat n’aurait pas été tellement différent de toute façon, tant la popularité de Poutine est réellement grande en Russie, n’en déplaise aux commentateurs occidentaux, qui aimeraient tant pouvoir dire et écrire le contraire.

Quoi qu’il en soit il est assez jubilatoire de voir le parti communiste russe mordre la poussière, nonante ans après la révolution d’octobre et n’atteindre même pas les 12% de suffrages. Entendre ces totalitaires d’un autre âge parler, avec des trémolos dans la voix, de défense des droits de l’homme est plutôt surréaliste. Ce pourrait même être pathétique s’il ne nous revenait à la mémoire aussitôt les dizaines de millions de victimes du Goulag, dont ils portent la responsabilité pour toujours.

Les supputations sur le rôle futur de Vladimir Poutine ne manquent pas. Pour les uns il sera le futur Premier ministre du futur Président, ce qui est peu vraisemblable du fait que le régime russe est avant tout présidentiel. Pour les autres un président intérimaire prendra sa suite pendant quelques mois avant de lui rétrocéder la place, ce qui est tout de même pour le moins hasardeux. Evoqué par quelques commentateurs seulement, l’hypothèse d’un Vladimir Poutine choisissant l’ombre, tout simplement, me semble devoir être retenue.

Cette hypothèse a le mérite d’être simple et de correspondre aux propos tenus depuis des années par Vladimir Poutine. Selon lui, la Constitution russe a le mérite de marcher. Il n’y a donc pas de raison de la changer pour convenances personnelles, comme un vulgaire Chavez. Ainsi une même personne ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs de président en vertu de l’alinéa 3 de l’article 81. Point barre.

Cette hypothèse ne plaît apparemment pas à l’ensemble des commentateurs qui veulent à tout prix voir en Poutine un tsar réincarné, qui ne serait pas près de renoncer au pouvoir au grand jour, en pleine lumière. Le 15 octobre, à Wiesbaden, Vladimir Poutine, aux côtés d’Angela Merkel, déclarait pourtant : « En Russie, nous allons suivre, non seulement la lettre, mais aussi l’esprit de notre Constitution » et le 16 octobre, à Téhéran, à la télévision iranienne, il répétait : « Il y a une Constitution à laquelle je tiens et dont nous devons suivre l’esprit ». Ces propos ont le défaut, semble-t-il, d’être trop clairs pour être crus.

Dans un article de Spectacle du Monde, le mensuel français, paru en novembre dernier, Pierre Lorrain écrit : « Contrairement aux apparences, le pouvoir en Russie n’est pas celui d’un autocrate qui déciderait souverainement de la politique à suivre. Poutine apparaît plutôt comme le chef d’une équipe qui conduit – tant bien que mal – les destinées de la Russie depuis 1992 : celle du groupe de politiciens libéraux que le maire de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobtchak, avait réuni autour de lui au début des années 1990 et qui a constitué la charpente des gouvernements russes qui se sont succédé depuis lors ».

En conclusion de cet article Pierre Lorrain pense que le prochain président sera issu de ce clan et prophétise: « Que ce soit Medvedev, Zoubkov, Koudrine ou Kozak, il ne sera sans doute qu’un primus inter pares destiné à conduire la politique suivie depuis plus de quinze ans par son équipe. Et au sein du groupe, la voix de Poutine, quel que soit son point de chute après la présidence, ne pourra que rester déterminante ». Le point de chute en question pourrait bien se trouver à l’ombre, ce qui ne veut pas dire que cet ancien colonel du KGB resterait inactif.

Francis Richard