De l’humeur des divinités antiques

Tout d’abord, vous l’épousez, elle est jeune, belle et bien cambrée. Puis, doucement, les angles s’arrondissent, la vigne porte du fruit. Parfois, son regard si doux se fait un brin sauvage, quand, le frigo dévalisé, elle vous dévisage avec un appétit qui n’est pas celui que vous pouviez espérer. L’on se découvre alors moins haut dans la chaîne alimentaire qu’on le pensait.

L’on découvre aussi que le sentiment qui nous envahit alors n’a plus rien à voir, en termes de puissance, avec celui de ce fameux “premier jour” et l’on rougit presque de sa faiblesse d’antan.

Et puis il y a les difficultés du quotidien, comment convaincre la Vénus de Willendorf qu’on la trouve cent fois plus belle qu’avant. Mais, foin d’amour et de vénération, ce que réclame l’antique déesse, avant tout, c’est du chocolat. Et jamais Baal, dans toute sa gloire, ne dévora de si bonne grâce. L’obole déposée aux pieds de l’autel, la divinité est apaisée pour quelques temps… quelques temps seulement, et le répit n’est jamais que de très courte durée.

Mais un jour d’ignobles iconoclastes foulent aux pieds l’idole sacrée et réduisent à néant des mois de culte patient. Il faut être quand même particulièrement tordu, au XXIe siècle, 50 ans après la prétendue libération de la femme, pour photoshoper l’image d’une femme enceinte sur un emballage de bas de contention et lui coller 1 mètre 20 de jambe pour 70 cm de hanches, alors que la réalité, la vraie, disons-le, est diamétralement inverse. Et la chose est universellement reconnue, et si quelque malheureuse créature devait déroger à la règle, qu’elle se terre dans la crainte du divin courroux. Ces marchands de lessive ne se rendent guère compte de la masse de détresse conjugale qu’ils peuvent générer en pourchassant les femmes enceintes de leur fantasme anorexique. Alors que les adolescentes tombent comme des mouches, il faudrait voir à lâcher la grappe aux quelques rares survivantes qui ont passé le cap.

De Milo à Rubens et de Cabanel à Botticelli, les Vénus sont grassouillettes car, de tout temps, la beauté fut dans l’abondance et la générosité des formes. Il n’y a décidément que cette époque blafarde pour célébrer les teints creux et maladifs et vanter les charmes souffreteux d’une silhouette marquée d’un os iliaque. Messieurs de la grande distribution, soyez assez aimables de remporter vos porte-manteaux et de bien vouloir nous rendre nos femmes.