RTS : L’initiative UDC et la légende du sursaut civil

moutonLes lendemains de votations populaires sont toujours propices à une petite séance de rattrapage idéologique. A la suite de l’échec de l’UDC, la RTS en déduit une interprétation pour le moins inédite, le premier parti de Suisse, réélu en masse en octobre dernier, aurait perdu devant la… « société ».

Jubilation contenue, dimanche dernier, à l’annonce des résultats de la votation, la RTS (1) claironne, le peuple – ce même peuple qui « échoue » à chaque fois qu’une initiative « populiste » l’emporte –  a triomphé. Pas un mot sur le fond du problème, le droit de garder à demeure, et à ses frais, les criminels du monde entier, ni sur les raisons qui ont pu justifier une telle initiative ; l’heure est à la célébration. Pas un mot non plus sur le fait que l’UDC, opposée au Conseil fédéral, au Conseil national, au Conseil des Etats, à tous les gouvernements cantonaux, à tous les partis, aux Eglises, aux grands patrons et aux associations culturelles subventionnées, est tout de même parvenue à un score de 41,1 % –  soit 11,7 % de plus qu’aux dernières élections -, et n’est plus qu’à 9% d’une majorité absolue en matière d’immigration. Un mot à peine – 48 secondes sur les 38 minutes que comporte le téléjournal -, sur la violente défaite des Jeunesses socialistes dans leur combat contre la spéculation sur les denrées alimentaires. Qu’importe, l’analyse tombe, l’UDC ne s’est pas cassée les dents sur l’establishment au grand complet mais s’est trouvée face à la « société civile ». En fait de société, une jeune blogueuse de 19 ans, une poignée d’activistes déguisés en moutons [rapport à l’affiche de campagne du mouton noir, ndlr] et un quarteron d’intellectuels suisse-allemands.

L’Etat c’est toi

Mise en abyme magistrale de cette société civile, sorte de pendant républicain, blond et lumineux, de son jumeau maléfique, incarné par le peuple mal-votant. Pour preuve cette laborieuse tentative de définition sur les ondes de la RTS, qui déploie toute une litanie de philosophes et autres sociologues pour distinguer le bon grain démocrate de l’ivraie populiste­:

« La société civile s’oppose à la société barbare, une société dans laquelle il n’y aurait pas de règle pour vivre ensemble […] Jeu d’opposition à l’Etat, à l’autorité, en soulignant la dimension de contre-pouvoir de la société civile. » (2)

mouton 2En clair, figée dans l’horizon d’attente révolutionnaire, l’UDC, même opposée à l’entière totalité des institutions politiques et civiles coalisées, semble la seule à même de revêtir la dimension péjorative de l’exercice de l’Etat et de l’autorité, forcément réactionnaire par définition. Une société civile, caisse de résonance de la docilité aux institutions politico-économiques mais porte-bannière de la rébellion au crépuscule des Grands Soirs, un média public dont les interrogations se terminent en séances de recrutement pour le parti socialiste (3) ; chronique d’une légende au pays mythique de l’autocongratulation.

Vers une fin de la démocratie ?

La manœuvre ressemble à une volonté stratégique de gommer toute référence visible à la notion de système. Système parlementariste en vase clos, où l’on voit les partis du centre diriger le pays avec à peine un tiers des sièges et une excellente représentation médiatique en guise de rapport à la base. Ce verrouillage central de la politique helvétique suscite la même désagréable impression de détournement de la démocratie que dans les pays voisins. Un décalage qui s’accentue forcément au pays de la démocratie directe, qui voit son peuple voter sans discontinuer contre l’immigration depuis vingt ans sans rien pouvoir obtenir de concret. C’était d’ailleurs la raison de cette dernière initiative, le peuple avait voté, en 2010, pour l’initiative contre le contre-projet, le Parlement faisait passer, dans sa loi d’application, le contre-projet contre l’initiative.

La démocratie se confond lentement avec le gouvernement des élites, la rumeur gronde sur les réseaux sociaux, mais le rempart politico-médiatique tient bon. Une réalité dont la RTS semble percevoir quelque chose, qui tend le miroir de ses états d’âme à l’UDC Hans Fehr, l’interrogeant sur la récente décision de son parti de produire moins d’initiatives populaires à l’avenir:

« Qu’est-ce qui se passe à l’UDC, Hans Fehr, le parti qui se distancie tout d’un coup du peuple ? […] La démocratie directe, ce n’est plus si important que ça à vos yeux pour la Suisse ? […] Quelque part vous nous avez toujours dit que c’était le peuple qui devait prendre le contrôle aussi de la démocratie suisse, par rapport à un Parlement, qui avait tendance à faire ce qu’il voulait de la volonté populaire, et là vous nous dites que vous rentrez dans le rang […] » (4)

Et ainsi de suite, où les grands prêtres du temple chargent le bouc émissaire de tous leurs péchés et de leurs plus noires tentations. Quoi qu’elle dise ou fasse, l’UDC ne semble pouvoir trouver grâce auprès de ses détracteurs. Mais ce qui devrait inquiéter les citoyens ici, c’est que tous semblent s’entendre enfin pour considérer que la démocratie directe n’est plus un moyen valable de changer les choses.

Noël Macé

NOTES

(1) RTS 19h30 28.02.2016

(2) RTS 1ère Intercités 01.03.2016

(3) RTS 1ère Forum 29.02.2016, cf. fin de notre vidéo

(4) RTS 1ère Forum 01.03.2016

Images: Youtube

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