Les nouveaux « idiots utiles »

D’après un article du New-York Sun, May 10, 2007, par Youssef Ibrahim.
Pendant des années, l’Union soviétique a tiré parti de ceux que Vladimir Lénine surnommait dit-on « les idiots utiles de l’Ouest » – journalistes, universitaires, gauchistes et autres romantiques qui disaient que le système de totalitarisme soviétique n’était pas si mal.
Menant sa propre offensive de charme, un autre empire du mal, les frères musulmans, a créé ses propres supports parmi les augustes institutions de l’Occident au cours de ces dernières années.
Le 2 mai, le Wall Street Journal commentait le programme d’islamisation de la Turquie par son premier ministre Erdogan. L’éditorial du plus important quotidien conservateur américain critiquait en réalité les opposants laïques de Mr. Erdogan, et mettait en garde la très laïque armée turque contre le fait d’envisager un coup d’état.
Dans un article du New York Times du 29 avril, James Traub écrivait comme s’il n’y avait pas de point d’interrogation dans le titre de son article « des démocrates islamiques ? « , qui, obséquieux, chantait les louanges de la renaissance d’un mouvement démocratique de frères musulmans en Égypte.

Le domaine des affaires étrangères fournit en ce moment un morceau de propagande de Robert Leiken et Steven Brooke intitulé : « Les frères musulmans modérés » qui manque tellement d’esprit critique qu’il est utilisé comme présentation par le politburo des frères musulmans. Même l’institution qu’est « The Economist » nous explique que maintenir « la démocratie est plus important » pour la Turquie que la menace fondamentaliste, « même si cela signifie endurer un gouvernement mauvais, inefficace, corrompus, ou légèrement islamiste. ».
 » Légèrement islamiste » est un oxymore comme « un feu glacé ». Une fois politisée, une religion devient une arme plutôt qu’une recherche spirituelle, et l’Islam s’est instantanément politisé à la mort du prophète Muhammad en 632. Durant 14 siècles, son héritage a été une série ininterrompue d’expéditions violentes contre les non musulmans, conquêtes sans fin, et guerres intestines entre factions chiites et sunnites.
Le premier successeur de Muhammad, Abu Bakr, dont le califat dura juste deux ans (632–634), était un brillant chef militaire qui se donna comme première tache de porter la guerre contre ces tribus arabes qui refusaient de payer la « zakat, » ou taxe islamique, les accusant de  « ridda, » ou apostasie. Après la mort d’Abu Bakr, les rivalités internes menèrent à l’assassinat des trois califes suivants, dont Othman et Ali, ce qui déboucha sur la rupture historique Shiite-Sunnite.
Il n’y a là rien de nouveau. Toutes les religions, y compris le christianisme, ont eu des phases violentes quand elles dominaient des sociétés entières ; un exemple bien connu est l’inquisition. Mais, au cours des siècles, de plus en plus de pays ont adopté des réformes constitutionnelles, séparant la religion de l’État [NDT : dans le catholicisme, la religion est toujours séparée de l’État : le pape et les évêques d’un coté, l’empereur et les rois de l’autre ; l’empereur n’est pas « commandeur des croyants »], et suivis les standards en évolution de la pensée démocratique. Ils ont fermement cantoné la foi dans un espace particulier, à l’intérieur de la sphère séculière.
L’Islam se dirige dans la direction opposée – et ses tentatives pour former un nouvel empire du mal sont très largement le fait des frères musulmans. Officiellement créés en Égypte en 1928, les frères musulmans font apparaître le spectre de l’Islam jihadiste avec leur éternel slogan « l’Islam est la solution ». Ils ont depuis répandu leurs pensées et principes à travers les régions arabes du golfe, en particulier en Arabie Saoudite, et luttent aujourd’hui pour obtenir le pouvoir dans les nations musulmanes, de l’Égypte au Pakistan.
Le programme des frères musulmans est resté à peu près le même depuis sept décennies : se débarrasser des lois laïques au profit de la Shariah, répandre la foi en Afrique, en Europe, et en Amérique, et prendre le pouvoir partout où elle existe.
Un universitaire français spécialiste de l’Islam,  Gilles Kepel, est un de ceux qui en Europe s’est patiemment documenté pour savoir comment chaque mouvement islamisque, de Ousama bin Laden et Al Qaeda jusqu’au Hamas et au Hezbollah, et ce aussi loin que dans des pays comme le Pakistan et l’Indonesie, a trouvé ses origines et ses leaders chez les frères musulmans. Soutenus grace à l’argent saoudien,  les frères musulmans se sont emparés de toutes les institutions religieuses majeures de l’Islam, et se multiplient de façon exponentielle. De l’Afghanistan aux mosquées de Londres, aux librairies religieuses de Brooklyn, il y aura un prêcheur « Ikhwani » comme responsable.
L’expression de la pensée des frères musulmans reste le manifeste écrit par Sayed Qutb, alors qu’il était en prison en Égypte, et qui est vénéré par toutes les assemblées de frères musulmans jusqu’à ce jour. L’oeuvre de sa vie comprend deux messages : le jihad contre tous les infidèles, et le « takfir, » le fait de déclarer un autre musulman un apostat. Dans « Milestones, » [titre en anglais ; bornes kilométriques] publié en1964, ainsi que dans les charges retenues contre Qutb pour justifier son exécution en 1966, il cristallise la logique de combattre les gouvernements nationaux pour créer la Ummah, une seule nation pour tous les musulmans. D’après Qutb, il n’y a aucune place pour un « Islam atténué », la seule solution est pour chaque nation d’être unie avec toutes les autres sous un seul Islam à travers le jihad.
Pour les frères musulmans, « Milestones » est ce que « Mein Kampf  » était au mouvement nazi : le texte fondateur de la révolution souhaitée. Aussi, les occidentaux qui examinent les convictions des frères musulmans doivent éviter de se laisser prendre aux pièges de leurs aspects séduisants.
Toutefois, dans le domaine des affaires étrangères Messieurs Leiken et Brooke semblent s’être laissé prendre par ces vieilles ficelles, et, dans leur article, expriment des regrets qu’un des grands leaders des frères musulmans en Angleterre, le prêcheur Kamal El Helbawi, ait été banni d’un vol vers l’Amérique parce que son nom apparaissait sur une liste de suspects de terrorisme. Quel est le fondement de leurs regrets ? Mr. El Helbawi est, disent-ils, « un admirateur londonien de Shakespeare, » et ne pourrait donc pas être un terroriste.
Si proclamer son amour de Shakespeare est tout ce que doivent faire les frères musulmans pour obtenir un laissez-passer, l’Occident a de gros problèmes. (l’article en anglais >)
SD

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