Dossier Police fédérale, lutte contre la cybercriminalité: SCOCI, les sentinelles du web

cliquer[Visite dans les locaux du SCOCI de la Rédaction du BAF et de Mme Christine Bussat, présidente de la Marche Blanche, du 21 juillet 2005].

L’affaire remonte au début du mois de mai, les bafeurs assidus se souviennent sans doute du mini-scandale provoqué par les propos du conseiller national socialiste Carlo Sommaruga, qui voulait, on se demande bien comment, distinguer pédophilie et pédocriminalité. On se souvient surtout de la vive réaction de la jeune et dynamique présidente de la Marche Blanche, Mme Christine Bussat, qui avait qualifié, au grand bonheur de nos lecteurs, les propos du Conseiller de "ramassis de conneries". Suite à cet évènement, la Rédaction du BAF, dont l’engagement ne faillira jamais contre cette espèce particulière du crime, a voulu en savoir un peu plus sur les mesures déployées par la Confédération pour contrer ce fléau, notamment via le Service de Coordination Criminalité sur Internet (SCOCI). Zoom sur ces nouvelles sentinelles du web.

La création du SCOCI n’étant pas étrangère aux premières manifestations de la Marche Blanche qui, dès 2001, en avait fait une réclamation prioritaire, la Rédaction, qui aime à bosser utile, a cru opportun d’emmener dans ses bagages ladite Mme Bussat. Enthousiasme de part et d’autre, flexibilité et transparence des agents du SCOCI, vif intérêt de la Marche Blanche pour le premier interlocuteur du pays en matière de lutte contre la pédophilie sur internet. Récit d’une rencontre au sommet.

A priori
Pour ne rien vous cacher, la Rédaction partait sur un certain a priori, le même que celui qui avait motivé la motion Aeppli Wartmann du 11 décembre 2002 et l’interpellation de Mme Thérèse Meyer en septembre 2004: insuffisance de moyens, alibi politique. Sans jamais douter de la sincérité des agents du SCOCI, la Rédaction voyait en eux les victimes du jeu politique et d’élus se moquant éperdument de garantir la protection du citoyen contre les dangers du net, au point de ne se décider à créer le dernier centre de coordination d’Europe que sous la pression de la rue.
Et bien nous avons été plutôt surpris, Philippe Kronig et ses hommes n’ont rien d’une victime, et, pour parler franc, ils ont même de belles têtes de prédateurs; les agents du SCOCI sont des loups pour le cybercriminel.

SCOCI
Interpellations, poursuites sont du ressort des cantons, à moins de circonstances très particulières, la police fédérale n’a pas les compétences pour débarquer chez un particulier à la façon du FBI, casqué, botté, pour vous demander gentiment votre disque dur avec un M16 sur la tempe. "Les polices cantonales ont une meilleure connaissance du tissu social, reconnaissent-ils sans difficulté, ce n’est pas notre travail".
Le SCOCI fonctionne comme un vaste système de balayage du net, un centre de tri et une centrale d’alarme. Le mandat se répartit en trois tâches distinctes:

– Le MONITORING, le scannage complet du net, dont 80% des recherches actives sur les réseaux de P2P (peer to peer, pair à pair, échange de fichiers de particulier à particulier via internet), plus discrets qu’un site payant. A ce propos, le SCOCI note une croissance des productions de matériel pédophile privées, et c’est à ce titre que la Suisse est, aussi, malheureusement, à compter parmi les pays producteurs.

La pédophilie est une véritable drogue, à titre d’exemple, ce cas d’un pédophile, originaire d’un canton alémanique, interpellé avec plus de 70’000 documents pédophiles conservés sur son disque dur et à son domicile. La surveillance des chats (forums de discussion sur internet) fait aussi partie des compétences du SCOCI, le plus dur étant de rester vigilant sans pousser à la faute par une provocation directe.

Si la collaboration est excellente à tous les niveaux, providers (fournisseurs d’accès internet), webmasters (éditeurs de sites), la vigilance n’en reste pas moins de mise, les chats pour mineurs sont infestés de pédophiles. La machine déresponsabilise, déshumanise le contact, "le langage utilisé est souvent très hard… sur des sites pour enfants", reconnaissent les hommes de Kronig. Si les contacts avec les différents services cantonaux se passent en général plutôt bien, les agents du SCOCI supporte mal de voir une traque de pédophile chatteur finir en eau de boudin au nom de vagues principes de la philosophie du droit, disant, en substance, que, si le suspect ne s’est pas rendu au rendez-vous qu’il a fixé avec une déclaration d’intention de violer un mineur dûment signée à la main, sa culpabilité ne peut même pas être supposée. A ce tarif, on n’engage plus les poursuite qu’après la levée du cadavre…"Pour nous, c’est très clair, dès qu’il y a un 187, on prévient les autorités compétentes, après…".

– Le CLEARING, le tri, l’examen de la cohérence des dénonciations et la transmission des dossiers aux autorités compétentes en Suisse et dans le monde. Car, si sa priorité absolue reste la Suisse, le SCOCI fonctionne aussi avec l’étranger. Aucun refuge ni répit, nulle part dans le monde.

– L’ANALYSE: la prise régulière de température de la cybercriminalité helvétique, mises en garde sur les nouveaux "trucs" employés par les criminels du monde entier. "L’internet est rapide, confie Philippe Kronig, et le crime s’adapte à toutes les contraintes".

Si les tâches du SCOCI sont multiples, lutte contre l’escroquerie, les spams (courriers électroniques publicitaires abusifs), la pédophilie reste "la priorité active et première" du Service de Coordination, assure M. Kronig.

Le rapport 2004 fait état de 6097 dénonciations, toutes catégories confondues, dont plus de 21% concernant la pornographie dure, telle qu’elle est décrite sur le site du SCOCI. 14% des dénonciations continuent de concerner la pornographie "classique" qui, elle, n’est pas illégale.

Le Monitoring a permis d’identifier 451 nouveaux cas pour la Suisse, dont 95% était de la pornographie enfantine. Cette forte augmentation par rapport à l’année 2003 découle en partie de l’amélioration des méthodes d’investigation. 438 cas ont pu être ainsi transmis aux cantons.

A l’exception d’Appenzell Rhodes-Intérieures, tous les cantons sont concernés, tout particulièrement le canton de Zurich, en raison de sa forte démographie, dont l’aide est absolument indispensable aux agents du SCOCI. Le Service a pour tâche de décharger les cantons du tri et de la distinction des cas, si bien que lorsque ces derniers sont contactés par le SCOCI, ils peuvent être assurés du sérieux de l’accusation et entamer les procédures nécessaires sans attendre.

En réponse à nos inquiétudes sur le manque d’effectifs, M. Philippe Kronig, nous assuré que le petit nombre permettait une meilleure coordination des tâches, plus cohérente et directe. Pas de mauvaises graisses. Le chef du SCOCI donne l’impression de savoir exactement ce qu’il veut et n’est pas peu fier de montrer, chiffres à l’appui, comment la Suisse, qui a pourtant commencé bien tard, a laissé l’Allemagne et son équipe constituée d’une cinquantaine d’agents loin derrière elle. Le Conseil fédéral avait répondu à l’interpellation de Mme Thérèse Meyer que l’équipe actuelle suffisait à traiter jusqu’à 10’000 communications. Le Monitoring vient de recevoir une personne supplémentaire.

L’élément humain
Des effectifs restreints permettent en outre de mieux assurer la gestion de l’élément humain. On l’imagine, le travail des membres du SCOCI est un sale boulot, un sacrifice consenti par quelques uns pour la sécurité de tous les autres.
Une seule et unique photo apparue lors de la présentation, pourtant peu suggestive et très largement caviardée, mais qui laissait deviner ce que pouvait être le quotidien de ces hommes et de ces femmes du SCOCI, nous a retourné les viscères pour le restant de la semaine.

Nous avons eu le temps de les observer attentivement, les caractères sont particulièrement trempés, vifs, intelligents, rapides, on sent un profond travail sur soi pour ne jamais se défaire des lois de l’équilibre et conserver un centre de gravité psychologique le plus proche du bon vieux plancher des vaches. "C’est un job, il faut le faire, nous assurent-ils, on essaie de ne pas trop y penser à la fin de la journée". On sent une grande force, tranquille, mais on aperçoit aussi comme une ombre au fond de leurs prunelles, une profonde tristesse, jamais exprimée mais tapie là, au tréfond de leurs âmes. De toute évidence, le rouleau compresseur de la vie leur est passé dessus, lentement mais sûrement, une sorte d’initiation au mal absolu qui ne laisse pas indemne, qui marque les coeurs à vie et stigmatise le regard de ces hommes; on tâche de ne pas y penser, on se relève, c’est le boulot. A cet égard, c’est la jeune femme qui nous a semblé la moins atteinte, la moins abîmée, la plus forte peut-être, on imagine volontiers l’importance de présence féminine dans ce genre de formation. Qu’ils nous pardonnent de parler d’eux de cette manière, mais c’était aussi une façon de dire notre reconnaissance à ceux qui ont accepté d’être, en première ligne, les égoûtiers de l’âme humaine.

Les membres du SCOCI n’ont pas de contact direct avec les pédophiles, leur travail se concentre sur internet; ce sont plus volontiers des chasseurs d’IP (adresse internet individuelle), chaque criminel est un "numéro" sur une machine, "c’est un avantage, on ne sait pas vraiment qu’elle pourrait être notre réaction devant les responsables de ces choses".
M. Kronig couve les membres de son équipe comme des oisillons, ce secteur, on s’en doute, n’est pas géré comme n’importe quel office de la Confédération: Personne n’est forcé, on peut soulager un membre en l’envoyant se "reposer" à traquer les spammeurs ou les escrocs à la carte de crédit; un suivi psychologique constant est assuré. Dans ce genre de situation, le moindre accroc dans la vie privée suffit pour qu’un homme parte en vrille, la petitesse des effectifs permet à chacun de veiller sur son voisin. "Si quelqu’un veut partir, dit Philippe Kronig, je le comprends tout à fait, ce n’est pas un problème, on lui trouve autre chose".

"Il faut que vous soyez bien dans votre tête", nous confie M. Christian de Raemy, responsable du Clearing. "Une chose qui aide aussi beaucoup c’est d’être sûr et certain de faire la bonne chose… Pouvoir éliminer une seule image, ou le distributeur ou le producteur, c’est une grande satisfaction. On sait qu’on fait le bon travail, et ça, ça aide!".

Comment aidercliquer
"Vos informations sont d’une aide précieuse", peut-on lire sur le site internet du SCOCI, mais les agents vous mettent en garde: "La collecte de preuves est l’affaire de la police ! Par conséquent, aucune sauvegarde ni impression ne doit être faite comme moyen de preuve. Ne répondez en aucun cas à des annonces potentiellement répréhensibles et ne cherchez pas activement de matériel illégal sur Internet !".

Le phénomène est proche du syndrome du pompier pyromane, la règle veut que l’on tombe rarement sur un site pédophile par hasard. Nombre de dénonciateurs sont des consommateurs fréquents de pornographie légale tombés, par "inadvertance", sur un site en infraction avec la loi. L’addiction à la pornographie peut mener parfois à la recherche de sensations plus fortes; le consommateur, partagé entre la curiosité, le besoin d’excitations nouvelles et le dégoût profond, peut ne plus parvenir à se dominer.
Soyez prudents, ne vous mettez pas dans l’illégalité en vous prenant pour un chasseur de pédophile. L’humilité est de mise, il s’agit d’un travail dangeureux et délicat réservé à des professionnels.

Si, toutefois, au hasard d’un clic malheureux, vous tombiez sur un site correspondant à la description du SCOCI, ou sur un fichier p2p illégal diffusé, cela arrive, sous un nom anodin ou le titre d’une grande production hollywoodienne, n’hésitez plus une seconde, remplissez le formulaire du SCOCI sur le champ. Vous aiderez à combattre ce fléau et, peut-être, à retrouver et sauver les enfants victimes de ce commerce abjecte, et à mettre une fois pour toutes leurs bourreaux derrière les barreaux. Pratiquez le surf citoyen!

cliquerMarche Blanche
Un des moments forts de cette journée, nous l’avons dit, était la rencontre entre les agents de la police fédérale et la présidente de la Marche Blanche suisse, association de parents de victimes de la pédophilie crée en 2001 à la suite de la forte mobilisation de la population belge conséquente à la tragique affaire Dutroux.

La présidente, Mme Christine Bussat, s’est dite impressionnée par le travail fourni par les agents du SCOCI. La Marche Blanche ne relâchera pas sa vigilance pour autant: "Même si on est rassuré par rapport au travail de la cellule du SCOCI, on a quand même envie de savoir comment ça se passe ensuite sur le terrain". En clair, Mme Bussat ne va pas s’arrêter en si bon chemin et a déclaré au BAF son intention de s’intéresser d’un peu plus près aux sections des polices cantonales responsables de la lutte contre la pédophilie. Il ne doit y avoir aucune brèche dans le rempart qui protège les enfants de ce pays!

La pression des ONG et de la population en général est indispensable pour donner à nos autorités une envie chaque jour mieux affirmée de lutter activement contre la pédophilie. Ce combat dépasse les luttes partisanes, les querelles mesquines n’ont pas à interférer dans ce genre de questions, si les représentants du peuple ne comprennent pas cela qu’ils cèdent leur place! Il revient à chacun de nous d’élire des candidats pour qui ce genre de priorités est vraiment présent à l’esprit, comme il nous revient de donner à notre pays des lois efficaces et structurées pour combattre cette plaie ouverte dans ce coeur de notre société qu’est l’enfance.

La Marche Blanche a mis sur pied une initiative populaire pour "L’imprescriptibilité de l’action pénale et de la peine pour les auteurs d’actes d’ordre sexuel ou pornographique sur des enfants impubères", à savoir pour que celui qui vous a violé enfant ne puisse pas revenir vous narguer 20 ans plus tard. Tout le monde signe, évidemment; mais, faute de bénévoles, la Marche Blanche risque de ne pas arriver aux 100’000 signatures nécessaires. NE LAISSEZ PAS FAIRE LA FATALITE, engagez-vous, annoncez-vous comme bénévole, signez, faites signer autour de vous, proches, amis, collègues de bureau. Vous devez bien cela à l’enfant que vous avez été.

Entretien avec  M. Christian de Raemy, responsable du Clearing.

La réaction de Mme Christine Bussat, présidente de la Marche Blanche.

Signez la pétition de la Marche Blanche.

 

 

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