Comment le Hezbollah triche avec la démocratie

Certes, le Hezbollah est très populaire au Liban. Mais, malgré sa réputation bien établie de mouvement terroriste, il compte aussi des opposants déclarés, et ceci même au sein de la population chiite, comme le souligne David Schenker dans un article à paraître dans le prochain Weekly Standard:

[Tous] les Chiites ne soutiennent pas le Hezbollah. Certains d’entre eux ont manifesté leur opposition au programme de «résistance» et, comme il fallait s’y attendre, le Hezbollah tente de faire rentrer ces dissidents dans le rang. L’intimidation n’a pas encore dégénéré en violence, mais, vu le parcours du Hezbollah (cette organisation terroriste est l’un des premiers suspects, avec la Syrie, de plusieurs assassinats politiques perpétrés au Liban depuis 2005), cela ne modifierait certainement rien à ses habitudes.

La quête d’hégémonie du Hezbollah et ses efforts visant à imposer la discipline envers le parti à tous les Chiites du Liban trouvent leurs racines bien avant la guerre de cet été contre Israël. Onze mois plus tôt, en décembre 2005, les ministres du Hezbollah et d’Amal claquèrent la porte du cabinet gouvernemental pour protester contre le projet de confier à un tribunal international le jugement de l’assassinat de l’ex-premier ministre libanais Rafik Hariri. Le Hezbollah, allié très proche de la Syrie, le principal suspect de ce meurtre, s’oppose à l’idée d’un tribunal impartial.

Mais, comme le Hezbollah craignait d’être remplacé au gouvernement par un Chiite non membre, l’un de ses porte-voix religieux émit une fatwa interdisant à tout Chiite non-membre du Hezbollah de briguer un siège au cabinet ministériel. C’en fut trop pour nombre de Libanais qui souhaitent vivre en démocratie. Un avocat chiite, Mohammed Mattar, lança une action en justice contre l’auteur de cette fatwa, Sheikh Nabulsi.

L’action de Mattar, déposée en janvier 2006, a été rejointe par cinq Chiites de premier plan, dont certains possèdent la légitimité conférée par une ascendance directe avec le prophète Mahomet, et par trois Chrétiens. Ensuite, plus de cinquante intellectuels, dont des Sunnites, se sont joints à une procédure consécutive. Pour les plaignants, l’action constitue une affaire de séparation entre l’Église et l’État. Le Hezbollah, par l’intermédiaire de la fatwa menaçante de Sheikh Nabulsi, avait privé les Libanais chiites de leur droit constitutionnel à participer à la vie publique. Mattar et al. ne demandaient pas de dommages et intérêts ou de peines de prison; ils aspiraient à un jugement solidement raisonné et largement promulgué empêchant le Hezbollah de restreindre davantage encore l’expression politique chiite.

Il n’est pas certain qu’on puisse compter sur le juge désigné, un jeune Sunnite provenant de la Bekaa, le bastion du Hezbollah, pour obtenir un jugement impartial. L’affaire, très couverte par les médias, a déclenché de fortes réactions. Le Hezbollah a lancé une contre-offensive juridique. Les weblogs pro-Hezbollah du Liban ont attaqué Mattar très violemment, le décrivant tout à tour comme un agent de la CIA, un homme aux ordres du Mossad et un employé de l’ambassade américaine à Beyrouth.

Plus récemment, poursuit l’auteur, la plus importante refusnik du Hezbollah est Mona Fayyad, une professeur de philosophie de l’université de Beyrouth. Le 8 août, elle publia un article, To Be A Shiite Now, qui a fait le tour du monde entre-temps et dans lequel elle met en cause la politique idéologique et totalitariste du Hezbollah au Liban. Elle y disait notamment:

Être un Chiite, c’est mettre son esprit en veilleuse et se laisser guider par [le guide suprême iranien] Sayyed Khamenei, le laisser décider à sa place des armes à donner au Hezbollah et le laisser vous imposer la signification d’une victoire qui ne présente guère de différence avec un suicide.

Schenker poursuit en expliquant que Mohammed Mattar et Mona Fayyad ne représentent sans doute pas une majorité des Chiites libanais, mais ils semblent parler pour une part croissante de la population chiite qui ne se sent pas l’utilité du Hezbollah, d’Amal ou d’une suzeraineté iranienne ou syrienne sur le Liban. Et ils ne sont pas seuls:

Lokman Slim, un Chiite qui dirige une ONG basée à Beyrouth, financée par des fonds européens et axée sur une diversification de la représentation politique chiite, est un autre critique déclaré du Hezbollah. Slim, qui parle volontiers de «monopole représentatif», affirme que le Hezbollah a «sapé» la base politique parmi les Chiites en empêchant les modérés d’émerger. Slim estime que ces modérés pourraient jouer un rôle dans la politique libanaise s’ils cessaient d’être intimidés.

À signaler aussi que si le Hezbollah a bien été élu démocratiquement, il ne respecte aucun règle démocratique en son sein et fonctionne dans un contexte théocratique et autocratique. Ainsi, Schenker rappelle que son secrétaire général, Hassan Nasrallah, en est à son cinquième mandat de trois ans, alors que ce nombre est censé être limité à deux mandats. Si le leader même du Hezbollah ne respecte pas les règles de son propre mouvement, comment espérer que le parti respecte celles, autrement plus subtiles encore, d’un gouvernement multipartite?

Et, pour revenir en Suisse, ne faut-il pas s’étonner que ce contexte d’opposition intellectuel, juridique et démocratique, mené par des Chiites courageux, qui s’attaquent à des terroristes confirmés ayant pignon sur rue dans leur propre pays, au point d’en constituer la principale force militaire, ait totalement échappé aux journalistes de la TSR?

Le moins que puissent faire les Suissesses et les Suisses qui croient encore un tant soit peu à leur démocratie est bien de signaler leur soutien à ces opposants chiites libanais qui risquent leur vie pour défendre les valeurs qui ont fait notre prospérité:

Plainte contre la TSR — appel au soutien

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