Francis Richard : Je n’avais pas encore donné…pour A.D.G.

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A.D.G. nous a fait un cadeau surprise, et de taille. Un peu moins de trois ans après sa disparition le jour de la Toussaint 2004, un livre posthume du tourangeau est publié aux éditions « Le Dilettante » : « J’ai déjà donné… ». Pour les amateurs de polars noirs, et particulièrement de ceux d’A.D.G., dont je suis, c’est un merveilleux cadeau, que je me suis empressé de dévorer littéralement, et littérairement parlant, au début de cet été pourri dû au réchauffement climatique…

Les dernières lignes d’un article nécrologique, dues à la plume de Bruno Icher dans « Libé » du 3 novembre 2004, prennent toute leur saveur aujourd’hui :

« Il y a un an tout juste, ADG parlait de se réacclimater à la France, de réapprendre son écriture. Il parlait d’un prochain roman où il voulait faire mourir son premier héros, Sergueï Djerbitskine, alias Machin : « Je me suis fâché avec l’ami dont je me suis inspiré pour le personnage. Je lui réserve un chien de ma chienne. Pour l’emmerder. » Le roman ne verra sans doute jamais le jour, mais la mort d’ADG nous emmerde bien. »

Le roman a vu le jour et voilà les gens bien emmerdés…Y compris l’ami fâché.

Quand A.D.G., est mort je me trouvais dans la même situation que les gens sus-dits et que l’ami en question maintenant. Que pouvais-je dire ou écrire sur lui? Sur ses livres ? Je n’avais pas tout lu, loin de là, de ce qu’il avait écrit. Je l’avais à peine connu, même si mes deux rencontres avec lui me sont restées mémorables.

Auparavant il faut vous dire qu’A.D.G. était plutôt de droite, c’est-à-dire qu’il ne « pensait » pas comme tout le monde, autrement dit qu’il n’était pas de gauche, encore moins d’extrême gauche. Dis-moi qui tu lis je te dirai qui tu es. Ses auteurs de prédilection reflétaient ses mauvais penchants : Marcel Aymé, Jacques Laurent, Albert Simonin, Louis-Ferdinand Céline, j’en passe et des plus gratinés…

Ses collaborations, le vilain mot, aux hebdomadaires sulfureux que sont « Minute » ou « Rivarol » n’étaient pas faites pour lui attirer la sympathie de l’établissement. Et pourtant les nécrologues tels que Bruno Icher dans « Libé », comme on vient de le voir, ne semblent pas lui en avoir trop tenu rigueur. Ses fréquentations douteuses, telles que son engagement aux côtés du FN, n’ont pas suffi non plus à le rendre totalement odieux.

C’est d’ailleurs parce que, fut un temps, j’avais les mêmes fréquentations douteuses que je l’ai rencontré à deux reprises. A la fête des Bleu Blanc Rouge de 1990, où il a signé mon exemplaire du « Grand Sud » et lors d’une soirée dansante à Montmartre, organisée par le Mouvement des Femmes d’Europe de Martine Lehideux, mon amie, et voisine d’alors à Chatou. A ces deux occasions j’ai pu apprécier sa gouaille et sa verve, qui n’étaient pas sans parenté avec celles d’Albert Simonin, que j’avais pu goûter quand il m’avait reçu, alors que j’étais âgé de vingt-quatre ans, chez lui, rue Lecourbe.

Par ailleurs A.D.G. avait une bonne descente, ce qui n’aurait pas déplu à un Valaisan que je connais…et c’était de plus un orfèvre en jeux de mots laids…avec lequel il était naturel de rire comme un bossu. C’était en outre, et en bouteille, un franc-tireur et partisan de l’éthylisme et de l’élitisme… 

Odieux, il ne l’était donc pas complètement aux yeux des journaleux. Ainsi Jacques Baudou, dans « Le Monde » du 6 novembre 2004 n’écrivait-il pas, tout en nuances, c’est-à-dire couleur muraille, la couleur uniforme de ce canard:

« Si nombreux soient ceux qui lui reconnaissent du talent, du style, de la verve, au point de le désigner comme « l’un des plus brillants écrivains du polar français », il en est pour qui ses positions politiques, fussent-elles le résultat d’une « posture esthétique, très fortement induite par la littérature », passent mal.»

Plus franc du collier, Pierre Assouline écrivait sur son blog le 2 novembre 2004 :

« Nul doute qu’on va voir fleurir l’épithète « facho » dans les nécrologies. C’est vrai qu’il était bien vu du côté du Front National et qu’il avait publié nombre d’articles dans Minute et Rivarol. Mais pour être sincère je m’en tape. »

« J’ai déjà donné… » est un titre qui porte en lui toute l’ambiguïté du livre. Il veut tout aussi bien dire  « je me suis fait avoir, on ne m’y reprendra plus» que « j’ai déjà trahi ». Le livre lui-même est composé de deux livres qui se répondent à des années de distance et qui se déroulent dans des lieux situés à des kilomètres de distance itou : en Touraine, patrie charnelle d’A.D.G., et en Nouvelle-Calédonie, sa patrie d’élection, où il a passé les années huitante. Le livre est habité par les deux héros de livres antérieurs : l’avocat Pascal Delcroix et Machin, évoqué plus haut, qui est lui-même un Janus en perte d’identité.

Dans ce livre surprenant, à plus d’un titre et en raison aussi d’icelui, le lecteur subit à feu continu des trouvailles d’expression, des calembours, des néologismes et des francisations de mots anglais intraduisibles, exercice dans lequel Jacques Perret était le maître. Jacques Perret parlait ainsi par exemple de spiqueur ou de coquetel tandis qu’A.D.G. parle de ticheurte ou de se chouter.

Raconter l’histoire ne serait pas du meilleur goût. De plus ce serait impossible, la forme comptant de toute façon autant que le fond. Ce roman est noir comme la série de même couleur et en même temps très coloré, il est parfois déprimant et souvent jubilatoire. Je suis sûr que, si vous aimez ce livre trépidant qui se boit d’une traite, comme un bon vin de Loire, pléonasme, vous ne pourrez pas vous empêcher de lire, ou de relire, les autres ouvrages d’A.D.G. C’est inévitable et c’est tout le bonheur de lecture que je vous souhaite.  

Francis Richard

 

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