La chronique de l’aumônier: Rites funéraires : dortoir ou crématoire, il faut choisir !

Tout récemment, la Ville de Genève a créé des « carrés confessionnels » au cimetière de Saint-Georges : les musulmans pourront ainsi être enterrés en direction de la Mecque, et les juifs en direction de Jérusalem. Dans le même temps, les chrétiens abandonnent de plus en plus leur mode de sépulture traditionnel, l’inhumation, au profit de la crémation, pratiquée aujourd’hui en Suisse dans 76% des cas au moins.

Cette évolution est symptomatique de la perte de la foi en la vie éternelle au sein de nos populations naguère chrétiennes. L’incinération avait en effet complètement disparu de nos contrées au moment de la christianisation de l’Europe. Les chrétiens ont adopté dès le début l’inhumation comme unique mode de sépulture. Le désir d’identification au Christ a joué un rôle manifeste. Par le baptême, le chrétien est enseveli dans la mort avec le Christ pour ressusciter à une vie nouvelle (immédiatement) et avoir part (au dernier jour) à la résurrection des corps (Épître aux Romains 6, 4-5). Or, en attendant sa résurrection, le Christ a été enseveli. D’où, pour le fidèle, le désir de lui ressembler jusque dans la matérialité du mode de sépulture.

Dans la perspective de la résurrection, le corps attend donc couché à l’ombre de la croix du cimetière la nouvelle vie qui lui sera donnée par le Christ. C’est comme un doux sommeil préludant à la gloire d’un nouveau matin de Pâques. Du reste le mot cimetière vient du grec koimêtêrion qui signifie « dortoir ». La mort n’est qu’un passage, un seuil à franchir vers la vie éternelle. L’âme, qui est un esprit, ne peut pas mourir. C’est une évidence philosophique. La foi vient préciser la nature de la vie après la mort : le baptisé est appelé à voir Dieu face à face pour l’éternité. L’âme peut goûter à ce bonheur immédiatement après sa séparation d’avec le corps, si elle n’a pas besoin de purification. Le corps quant à lui aura aussi part à la béatitude de l’âme, mais seulement plus tard, au dernier jour, celui de la résurrection. Il sera alors réuni à l’âme, pour ne plus jamais en être séparé. En attendant ce « réveil », il repose en paix.

L’incinération nous place dans une perspective diamétralement opposée. La crémation du corps opère une destruction violente et instantanée. Elle évacue l’idée du sommeil paisible dans l’attente d’une vie future pour lui substituer celle d’un retour brutal et définitif au néant. Ce n’est pas un hasard si elle a été réintroduite à partir de la seconde moitié du XIXe siècle par les francs-maçons, qui ne cachaient par leur dessein de gommer petit à petit, par ce moyen, la croyance en l’immortalité de l’âme. Les rites sont l’expression des convictions de l’homme, mais à leur tour ils contribuent à enraciner ces convictions au plus profond de l’âme des individus et de la conscience des peuples. Aujourd’hui, l’incinération ne revêt peut-être plus le caractère d’un choix strictement idéologique. Elle n’est plus nécessairement l’expression d’un refus d’une vie après la mort. Elle est devenue une mode, tout simplement. Mais justement cette mode est pernicieuse, car elle risque d’accélérer la disparition de la notion même de vie après la mort, qui est une vérité accessible à la simple raison (un esprit immatériel ne peut pas mourir) avant même d’être un objet de foi.

L’abandon par les chrétiens d’une tradition funéraire bimillénaire n’est donc pas anodin à l’heure où juifs et musulmans, de leur côté, affichent leurs convictions jusque dans nos cimetières. L’Europe chrétienne est en péril. Le sens même de la transcendance de l’homme disparaît. Si l’homme n’est qu’un amas de cellules sans âme, il cesse d’exister lorsque ces dernières cessent de fonctionner. En toute logique, sa dépouille peut alors être incinérée comme n’importe quel autre type de déchet. L’avenir de l’Europe se joue (aussi) dans ses cimetières.

Abbé F.G.

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