Enfant et famille ou la « révolution des moeurs »

RiedmanttenAImagePédophile-448x293 (1)« Nous voulons détruire la famille et cette société parce qu’elles nous ont toujours opprimés… » FHAR, 1971

Avertissement: le présent article n’a pas pour but de fustiger les individus, mais ceux qui veulent nous contraindre.

Le dernier communiqué du Conseil fédéral ne permet plus le doute, l’affaire est dans le sac: quelques années à peine après avoir assuré, durant toute la campagne en faveur de la loi sur le partenariat enregistré (LPart), ne jamais revendiquer le droit à l’adoption, les groupes d’intérêts, sinon les lobbys, homosexuels tombent le masque et désavouent les promesses d’hier.

Si la chose n’est une surprise pour personne, elle reste néanmoins symptomatique d’une stratégie de patience. Or, qui dit patience et longueur de temps dit forcément histoire, et il apparaît plus que nécessaire aujourd’hui d’étudier les origines de cette longue marche pour en connaître la destination.

La revendication homoparentale est indissociable de la revendication homosexuelle et ce dès la fin des années soixante, date où l’homosexuel assumé sort enfin du bois pour exiger rang égal, dans la société d’ordre établi, avec son homologue hétérosexuel. L’exigence parentale est d’abord formulée comme une volonté de substitution à l’autorité parentale naturelle selon un objectif double: la destruction d’un modèle familial présenté comme réactionnaire et l’accès à l’enfant dans une perspective sensuelle présentée comme révolutionnaire et libératoire. Dans le contexte du temps, la sexualité était le bélier que l’époque s’était choisie pour enfoncer l’ordre bourgeois. La liberté sexuelle constituait donc à la fois le but et le moyen du renversement révolutionnaire.

Sur le modèle des excès que connaît notre époque quant à la théorie du genre, qui prétend libérer l’enfant de l’identification sexuelle, les trente dernières années du siècle passé prétendirent libérer l’enfant sexuellement. Si la chose n’est plus possible aujourd’hui, trop de témoignages d’enfances brisées ont conduit au renforcement de la norme légale, l’on continue cependant, du côté de certains groupes d’influence, à invoquer religieusement les mânes glorieuses des militants des premiers temps, sans le moindre esprit critique, juste histoire de montrer que l’on n’a rien oublié de la pureté des buts premiers.

La communication ne s’en est pas moins adaptée aux exigences de la modernité: Le ton s’est adouci pour ne plus insister que sur l’évidence victimaire des injustices que le reliquat d’ordre moral qui subsiste aujourd’hui tend encore à infliger dans une société qui se doit d’être égalitaire en tout de gré ou de force. Il suffit de lire le communiqué du Conseil fédéral, qui fabrique une égalité de droit des enfants d’homosexuels, oxymore s’il en est, à être adopté au même titre que les enfants d’hétérosexuels, pléonasme s’il en est, pour se convaincre de la pénétration de ce type de schéma de pensée dans notre société. Certains mots ont été rayés du vocabulaire autorisé, qui traduisaient une réalité par trop parlante, dont on  ne veut plus aujourd’hui, comme le classieux «pédéraste» (du grec paiderastês,paidos «enfant, garçon», erastês «amoureux», qui donnera l’abréviation honnie «pédé»), et remplacé, dans la plus pure tradition novlangue, par des euphémismes beaucoup plus réjouissants. Rappeler ce genre d’étymologie reviendrait en outre à s’attirer les foudres des docteurs du nouvel ordre moralisé et encourir des sentences d’exclusion sociale définitives.

La communication n’a fait en somme que se polir sur certaines de ses aspérités, et s’il ne convient plus de crier ses revendications avec la liberté des bâtisseurs de barricades, il ne convient pas non plus de dévier du cap hérité des pionniers. En un mot comme en mille, baise la main que tu ne peux mordre.

Disons-le enfin, la pédophilie a fait partie intégrante des revendications, pour ne pas dire des exigences, des mouvements d’obédience socialiste à la fin des années 60, parmi lesquels les groupes pionniers de la lutte homosexuelle, encore reconnus et honorés comme tels aujourd’hui par les associations actuelles.

Aux origines de la lutte

L’acte fondateur sonne comme une prise de la Bastille, les mass médias en l’occurrence:  le 10 mars 1971, lors de l’émission radiophonique de Ménie Grégoire, sur le thème de «L’homosexualité, ce douloureux problème», en direct de la salle Pleyel à Paris, les premiers militants homosexuels s’emparent de la scène aux cris de «Battez-vous!». L’incident, presque courant pour ces années, marqua la naissance visible des premières associations de lutte militante homosexuelles, dont la plus célèbre fut sans conteste le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire). Ce groupement n’est pas le premier de son espèce, l’on repère un Comité d’action pédérastique révolutionnaire (CAPR), à la Sorbonne en 68, puis un Mouvement d’action judiciaire (MAJ), le GLH (Groupe de libération homosexuelle) et le CUARH (Comité d’urgence anti-répression homosexuelle).

A partir de cet instant,  le mouvement se déploiera sur deux fronts: action militante et intellectuelle.

Sur le terrain, le premier objectif de groupements comme le FHAR sera de convertir la masse de gauche à leur cause. La première difficulté sera de calmer, pendant les divers troubles estudiantins, les ouvriers communistes, lesquels refusent net de manifester avec des «tapettes», ou encore le «Comité d’occupation de la Sorbonne» qui, tout révolutionnaire qu’il est, s’émeut de la présence d’homosexuels près des toilettes du prestigieux établissement…

Sur le plan intellectuel, un homme, quoique discret sur la question, sera précurseur en la matière, Jean-Paul Sartre. Au titre de fondateur de diverses revues comme Tout!, ou d’une feuille, qui connaîtra un destin national, Libération. Sartre sera le premier à mettre le sujet sur le tapis de façon régulière, sinon presque récurrente.

Dès son n°12 (avril 1971), Tout! publie le communiqué fondateur du FHAR, adressé «A ceux qui sont comme nous». Le FHAR y déclame son Credo: «Nous voulons détruire la famille et cette société parce qu’elles nous ont toujours opprimés… A BAS LA SOCIETE FRIC DES HETERO-FLICS ! A BAS LA SEXUALITE REDUITE A LA FAMILLE PROCREATRICE !… Pour un front homosexuel qui aura pour tâche de prendre d’assaut et de détruire la «normalité sexuelle fasciste»». Les majuscules et la ponctuation sont d’origine. Le décor est posé: la famille est visée et, derrière elle, la société tout entière. Il s’agit d’une guerre révolutionnaire, l’orientation sexuelle est à la fois la situation et l’instrument. C’est cette pensée qui soutiendra l’activisme homosexuel jusqu’à nos jours.

«Jamais la bourgeoisie n’a toléré la libre disposition d’un corps en face de n’importe quel autre et en particulier chez les mineurs», lit-on dans le même numéro de la revue « Tout! ». «Jamais elle n’a toléré le droit à la tendresse entre tous les corps, si ce n’est comme soupape de sûreté dans quelques lieux privilégiés et fermés». La révolution sexuelle réclame l’abattage du tabou de la sexualité de l’enfant et, conjointement, une place ouverte et publique pour les sexualités non bourgeoises, à savoir non reproductrices et non familiales. «La lutte des classes passe par les corps» s’exclame la revue homosexuelle Gulliver dans son premier numéro (nov. 1972); le corps de l’enfant n’est pas épargné.

Dans le n° 13 de « Tout! » (17.05.1971), le FHAR, qui, de toute évidence, y a établi ses quartiers, publie un courrier de l’écrivain Tony Duvert, un autre de ces intellectuels précurseurs dont nous aurons à reparler: «Je ne connais rien de votre mouvement et je ne sais pas à quoi ces articles pourront réellement servir, mais je suis frappé de leurs efforts pour éviter nombre de stupidités que les homosexuels ont l’habitude de penser sur eux-mêmes. Dommage que le problème de la pédérastie, difficile et crucial dans une critique de la société, de la famille et de l’éducation, n’ait guère été abordé, d’autant que vous étiez, il me semble, en état de faire parler ceux qu’on doit entendre: non pas les pédérastes, mais leurs possibles «victimes» mineures. Tony Duvert (Paris)». On appréciera les guillemets autour de victimes.

La dialectique homosexuelle de ces années raille la conception «bourgeoise» d’un enfant victime dans le rapport sexuel. Rousseauisme poussé à l’extrême: dans son innocence originelle, l’enfant serait une sorte de bon sauvage du sexe. Le sexe, tout sexe étant bon, ne saurait être mauvais pour l’enfant, puisque l’enfant est bon, à savoir non encore corrompu par la société bourgeoise moralisée; seul le tabou de la violence subsistera. Paradoxalement, c’est bien lorsque que ces fameuses «victimes» briseront enfin le silence que le tabou de la «pédérastie» s’installera jusque dans les rangs des principaux concernés qui n’en supporteront plus jusqu’au nom. Le courrier de Duvert reste essentiellement symptomatique du besoin des militants de la première heure de se définir concrètement et de poser des objectifs, ce qui sera fait.

Audience nationale

Curieusement, c’est au niveau intellectuel, dans la presse d’audience nationale, que le débat va se durcir, avant la recrudescence, bien sûr, des actions coups de poing, telles que celles menées ces dernières années par des militants homosexuels contre des édifices de l’Eglise catholique à l’occasion des journées contre l’homophobie. L’offensive se voudra essentiellement littéraire:

En 1974, l’écrivain Gabriel Matzneff, proche de Mitterrand, ouvre les feux contre l’oppression bourgeoise: «Ce n’est pas parce qu’un malade mental étrangle de temps à autre un petit garçon que ces mêmes bourgeois sont autorisés à faire porter le chapeau à tous les pédérastes et à priver leurs enfants de la joie d’être initiés au plaisir, seule éducation sexuelle qui ne soit pas un mensonge et une foutaise» (Gabriel Matzneff, Les Moins de Seize Ans, 1974, cité par Ambroise-Rendu, Anne-Claude, «Le pédophile, le juge et le journaliste», L’Histoire, n°296 (mars 2004), p. 65).

En 1975, un auteur mineur, mais politicien alors prometteur et très en vue, publiait un ouvrage intitulé Le Grand Bazar où il écrivait ceci: «Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais: «Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas les autres gosses?». Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même». La vidéo de Cohn-Bendit, en 1982, sur le plateau d’Apostrophes de Bernard Pivot reste un classique du genre.

En octobre 1976, un album publié par Schérer et Hocquenghem, tous deux membres du FHAR, est ainsi salué par le quotidien Le Monde: «les auteurs ne cachant pas que le corps des enfants – sexué, désirant, désirable, ludique – les intéresse. Leur livre n’est pas «à mettre entre toutes les mains» aurait-on dit naguère. On serait bien embarrassé, aujourd’hui, de préciser lesquelles. Celles des parents, peut-être » (Signé R.-P.D., Le Monde, 15 octobre 1976).

En novembre de la même année, Gabriel Matzneff pose cette question: «L’amour est-il un crime?», dénonçant la longue détention provisoire dont sont «victimes» depuis trois ans un médecin et ses amis pour «une simple affaire de mœurs, où les enfants n’ont été victimes de la moindre violence, mais au contraire, ont précisé au juge instructeur, qu’ils étaient consentants et que cela leur avait été fort agréable». Matzneff plaide pour le respect des «pratiques sexuelles chez la très jeune fille ou le très jeune garçon» et va jusqu’à invoquer les articles 330 et 331 du Code pénal, complétés par des ordonnances vichyssoises; argument définitif…
Puis la vaticination se fait plus psychologique: «Aimer un être, c’est aider à devenir celui qu’il est. Or cette quête d’identité, qui a pour but la possession et la connaissance de soi, est aussi une quête d’identité sexuelle. Une relation amoureuse, dès lors qu’elle est fondée sur la confiance et la tendresse, est le grand moteur de l’éveil spirituel et physique des adolescents, Les perturbateurs des moins de seize ans ne sont pas les baisers de l’être aimé, mais les menaces des parents, les questions des gendarmes et l’hermine des juges» (Le Monde, 7-8 novembre 1976).

Deux ans plus tard, en 1978, le même récidive dans le compte rendu fait par ‘Le Monde des livres’ du dernier ouvrage de René Schérer et Guy Hocquenghem et semble mal supporter, c’est le moins qu’on puisse dire, une certaine difficulté d’accès à la chair fraîche imposée par les lois bourgeoises, pour ne pas dire carrément fascistes: «sous le prétexte de «protéger» l’enfant, la société adulte trace autour de lui un véritable cordon sanitaire. […] Jadis on expliquait à l’enfant que la masturbation rendait fou; à présent on lui apprend à se méfier des vilains messieurs et à les dénoncer à la police […] Non seulement les enfants ont des droits, écrit Schérer, mais ils étouffent sous eux». Hier, les enfants étaient accablées d’«interdits»; aujourd’hui, ils le sont par une législation à prétention pédagogiques, dont le plus clair effet est de les empêcher de disposer d’eux-mêmes, de circuler librement, de se lier d’amitié avec des adultes autres que ceux désignés par l’institution» (Le Monde, 17 février 1978).

Le ton commence à changer un peu l’année suivante sous la plume d’une femme, Eveline Laurent, qui, quoique séduite et touchée par ceux qu’elle appelle «les nouveaux pédophiles», conteste néanmoins «la justesse de leur raisonnement». «Est-il possible de croire totalement clairvoyant, par exemple, ce «touriste» quand il décrit Manille où la prostitution d’enfants s’exercerait sur un mode paradisiaque avec bénédictions (du père, de la grand-mère, du patron) à l’appui? […] On retiendra ce qu’on voudra des propos de Françoise Dolto (drôlement traitée de «Savonarole des nurserys») et pour qui toute séduction d’un enfant par un adulte laisse au premier un traumatisme ineffaçable, il semblerait en tout cas mal venu d’oublier totalement les liens unissant séquelles du colonialisme, prostitution et misère dans certains pays» (Le Monde, 31 août 1979 p. 1), mais là, on l’aura compris, c’est en fait le colonialisme, métaphore du viol du prolétariat par le bourgeois paternaliste et pénétrant, qui est en la cause.
Le féminisme fournit de même une improbable base critique: Le même jour et sur la même page, Roland Jaccard présente le premier livre de Nancy Huston, «Jouer au papa et à l’amant». L’ouvrage, assez offensif, dénonce la bonne conscience hypocrite qui «sous la double bannière de la liberté d’expression et de la liberté du désir transforme les petites filles en femmes-objets» (Le Monde, 31 août 1979 p. 2).

Colonialisme et machisme auront été les seuls reproches que l’intelligentsia de gauche aura trouvé à faire à la pédophilie…

En 1980, Roland Jaccard encore salue, dans ‘Le Monde des livres’, la dernière publication de Tony Duvert, L’enfant au masculin, avec ces mots: ce livre «traite d’un sujet qui chagrine les familles, indigne les vertueux, dérange les plus permissifs et choque même les professionnels du scandale: la pédérastie». Et Jaccard loue cette «pensée si généreuse» qui débusque les «hypocrisies» (Le Monde, 14 novembre 1980; suite 1, 2).

Enfin, en 1981 encore, Philippe Sollers mêle critique et louanges à propos du dernier livre de Gabriel Matzneff. Reconnaissant en lui un libertin métaphysique, qui «réinvente la transgression, le scandale en se lançant à corps perdu dans l’aventure qui ne peut pas ne pas révulser la loi: la chasse aux mineurs». Il ajoute: «Ce dernier point est probablement inacceptable. Il m’est complètement étranger. Je ne juge pas, je constate. Je vois que cela a lieu. J’essaye de comprendre cette fantaisie obstinée, peinte par ses illustrateurs comme un paradis». Plus loin il explique comment la «pédérastie allusive de Gide [est] ici dépliée, déployée, industriellement décrite» et commente: «il y a dans tout cela quelque chose d’odieux et de sympathiquement puéril» (Le Monde, 25 septembre 1981); nous retiendrons l’odieux.

Dans ledit ouvrage, Matzneff pousse une complainte initiatique: «Nous formons la dernière société secrète, nous sommes les carbonari de l’amour. Persistons dans cet état, le paradis est une chasse réservée», et prévoit le retour de l’obscurantisme: «Nous allons assister au retour du puritanisme et à son triomphe. Aussi aurons-nous plus que jamais besoin de nos masques, qu’ils soient de velours ou de fer…»; la clé est là, la gauche n’a fait que rechausser le masque qu’elle avait tombé en 68, ses buts, ses voies et ses désirs sont restés les mêmes, la société, la femme, la famille, le couple et enfin l’enfant, tabernacle ultime de l’innocence; innocence qu’il faut détruire, pureté qu’il faut souiller, pour mieux fouler l’humanité aux pieds et crier sa rage de mort à tout ce qui est.

Matzneff n’est ni un fou, ni un fabulateur ni un intello plumitif emporté par l’époque, l’élan et son envie de plaire, Sollers en témoigne: «Ce qui irrite le conformisme ambiant chez Matzneff, je sais bien ce que c’est: sa sincérité, son honnêteté, son refus de tricher en exposant ses contradictions. Mêler, comme il le fait, le sexe à la prière, par exemple, provoque immédiatement le comble du malaise. C’est un bon test, je crois, pour discerner les esprits vraiment libres, libres de tous côtés. La question finale que pose le libertin métaphysique est en effet, celle-ci: existe-t-il des athées qui le soient autrement que par puritanisme inconscient, par effroi de voir s’agrandir les limites de leur jouissance? Et d’autre part: y a-t-il des consciences religieuses qui le soient autrement que par peur et refoulement de la sexualité? ». (Le Monde, 25 septembre 1981).

 

Adrien de Riedmatten

à suivre…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *