Exit: Pourquoi il devient urgent de légiférer

sobel

A tombeau ouvert: Acculé par les récentes révélations d’une étude du Fonds national de recherche scientifique (FNRS), le Dr Jérôme Sobel, président de l’association Exit, s’engouffre dans la brèche ouverte récemment par le tribunal cantonal neuchâtelois et annonce la renonciation à des critères d’éligibilité clairs pour accéder à une assistance au suicide. Un geste tactique dans un contexte de paralysie juridique totale.

La nouvelle est tombée durant le week-end, le 24 mai dernier, le 19h30 de la RTS annonce la généralisation d’un nouveau barème de critères propres à ouvrir, auprès de l’administration d’Exit, l’assistance au suicide à des candidats ne souffrant pas de maladie incurable.

Passée de 21 suicides pour la Suisse romande, en 2001, à une moyenne globale de 260 par an entre 2003 et 2008, l’assistance au suicide est une entreprise à fort potentiel de développement.

Contexte

Actif depuis les années 90 au sein de l’association, le Dr Sobel, à sa tête depuis le début des années 2000, profite habilement d’une lacune introduite à l’art. 115 du Code pénal ne sanctionnant pas l’incitation ou l’assistance au suicide si le mobile n’est pas ouvertement « égoïste« .

Exit ADMDLa méthode du Dr Sobel a toujours consisté à donner une série de garanties très strictes pour l’accès à l’assistance. Attitude prudente qui lui permit de se distancer, le cas échéant, des excès de son confrère Minelli, de l’association Dignitas, dont on retrouvait parfois les « patients » la tête recouverte de sacs d’hélium, dans des positions convulsives dévoilant les circonstances d’une mort agrémentée d’extrêmes souffrances.

Dès le début, Sobel impose une « Déclaration pour une mort digne« , à faire signer par le candidat, exigeant, outre le discernement, la condition préalable d’un cas « désespéré » et d’une maladie « incurable« .

Fin communicateur, tout au long de cette dernière décennie, Jérôme Sobel insistera tout particulièrement sur ce dernier point comme la garantie ultime du bien-fondé de l’action de son association. Ainsi, le 13 juin 2003 (dès 10:07), en 2005, dans le film de propagande Exit, le droit de mourir, produit par Fernand Melgar (dès 01:30), le 20 octobre 2008, parlant de « situation dramatique » et « irréversible » (dès 02:52), le 3 janvier 2009, le 18 juin 2011, lors d’un reportage reproduisant la mise en scène du film de Melgar, il précise l’exigence de documents faisant la preuve d’une maladie incurable (dès 06:18), le 25 février 2012, seule une « situation extrêmement difficile » et la production de documents médicaux (dès 14:00) ouvrent le droit aux prestations de l’association. Le 20 janvier 2003 (dès 01:00), la méthode Sobel avait déjà reçu l’onction des médias publics, lesquels reconnaissaient sa bonne réputation au contraire des excès rencontrés à l’étranger ou dans les locaux de Dignitas.

Jérôme Sobel s’emploiera beaucoup à jouer sur les termes, préférant parler d' »autodélivrance » plutôt que de suicide, glosant sur d’obscurs concepts de droit individuel, de choix libre et consenti, de « chemin de vie » plutôt que de mort sordide au fond d’un camping-car, présentant chaque échec comme une victime d’un ordre légal injustement strict, jouant toujours, à la lisière du bon sens, d’une certaine élasticité sémantique, allant même, c’est un comble, à avancer, en cas d’opposition à son action, le risque de… suicide (dès 18:00). La postulation, qui peut faire sourire, est au contraire révélatrice du but visé par le Dr Sobel, soit une professionnalisation de l’acte de suicide et, par extension, de celui d’euthanasie; nous y reviendrons.

En 2008, mécontent de la renégociation du modus vivendi entre Exit et les services médico-sociaux du canton de Vaud, Sobel décide de forcer la porte des EMS par voie d’initiative populaire. Initiative rejetée au profit d’un contre-projet mais qui ouvrira toute de même grandes les portes des hospices aux « accompagnateurs » d’Exit.

Vainqueur de ce premier bras de fer, Jérôme Sobel connaît encore un autre succès: la décision, tombée en avril 2014, du tribunal cantonal neuchâtelois de ne pas poursuivre un médecin ayant assisté le suicide d’un patient sans diagnostic de maladie incurable, au seul prétexte qu’il soupçonnait celui-ci de vouloir se défenestrer, et souhaitait, par conséquent, pour reprendre l’euphémisme employé par Jérôme Sobel pour l’occasion, lui épargner les affres d’une « mort violente » (dès 01:20).

Zone d’ombre

Cette série gagnante compte toutefois une ombre au tableau, le programme national de recherche (PNR)67 du FNRS, dirigé par Matthias Egger, professeur de médecine sociale et préventive de l’université de Berne, et fondé sur 1301 cas de suicides assistés traités, entre 2003 et 2008, par les organisations d’assistance au suicide Exit et Dignitas.

Exit physiqueCette étude inquiète beaucoup les partisans de l’assistance au suicide. En mars 2013, le parti socialiste fustigera une étude qui ose « remettre totalement en question la forme d’assistance au suicide que certaines organisations proposent en Suisse depuis des années, mais [cherche] aussi à influer sur la législation » et dénoncera la présence, au sein du programme, de personnalités considérées « de notoriété publique » comme « des adversaires convaincus de toute forme d’assistance au décès. »

En février 2014, le Pr Egger publie des résultats troublants, faisant état, sur près de 200 des 1301 cas signalés, d’actes de décès officiels privés de toute indication quant à la maladie mortelle censée justifier de l’assistance au suicide. A préciser encore que les données ont été cédées librement par les associations Exit et Dignitas.

Pire encore, plusieurs cas de dépression ou de démence sont notifiés. Les garanties de discernement et de maladie incurable des associations sont clairement violées. Interviewé par Les Observateurs, le Pr Egger, qui plaide pour une législation urgente, ne ménage pas ses termes:

« On a un souci. On aimerait en savoir un peu plus, savoir si cette personne était vraiment capable de prendre cette décision. Ca doit êtredocumenté par les médecins avant de procéder au suicide assisté. […] On aimerait savoir un petit peu mieux ce qui s’est passé.

[…] Pour un sujet aussi délicat, l’Etat devrait regarder les choses de plus près.« 

Le vide est cruellement béant.

Dans l’urgence, Jérôme Sobel réagira le lendemain même par une interview au Temps pour jurer de sa bonne foi quant au maintien de l’exigence de discernement de la clientèle d’Exit, sans apporter toutefois de quoi contrer les évidences dénoncées par le Pr Egger.

Fuite en avant

Par chance, la décision de la cour d’appel du canton de Neuchâtel vient combler ce déficit d’image, qui fracture la jurisprudence et ouvre grand la voie au suicide assisté sans nécessité de motif grave. Exit, si l’on peut dire, par conséquent, les 200 cas non spécifiés exhumés par le PNR 67.

Sobel reprend l’offensive et décide d’attaquer frontalement:

« Ca veut dire que les médecins pourront agir librement, en leur âme et conscience, sans risquer d’être automatiquement poursuivis par un procureur. Le juge devra appliquer le cadre en vigueur. Ce jugement neuchâtelois est très important parce qu’il permet de bien clarifier les choses. » (source)

En fait de clarification, ce jugement donne surtout au médecin une voix supérieure à celle de son patient. En cas de poursuite, ledit médecin pourra invoquer son « âme et conscience » pour justifier de l’absence de constat médical susceptible de motiver un acte aussi lourd. Les médecins accèdent ainsi à une sorte de droit de vie et de mort tacite sur leur patients. Les morts ne parlent pas, c’est connu, et la porte est ouverte ainsi à tous les excès.

Exit psyComme la question a failli se poser pour le don d’organes, ledit patient devra peut-être tester devant notaire pour s’assurer de ne pas être euthanasié par quelque effet de la bonté d’âme de son médecin traitant. Sous une telle jurisprudence, l’infirmière française qui, ne supportant plus les souffrances de ses patients, en avait « délivré« , semble-t-il, un bonne trentaine – parmi lesquels certains se portaient pourtant fort bien -, ne pourrait plus être poursuivie.

Suite logique, quelques jours à peine après l’arrêt de la cour d’appel, Sobel ajoute une sixième conditiond’obtention de l’assistance au suicide aux statuts d’Exit, « être atteint de polypathologies invalidantes liées à l’âge« ; en clair, être vieux.

A l’appui de ce pas de géant, Sobel parle de surdité et de cécité pour justifier d’une décision de suicide. Seule référence à l’étude PNR 67, le sujet du 19h30 évoque en coup de vent que, « dans la pratique, cela fait plus de dix ans qu’Exit « accompagne » des personnes qui ne souffrent pas forcément d’une maladie incurable » (dès 00:46), un quart des cas en 2013, 42 personnes; un aveu unique !

Mais ce n’est pas tout, le jour même de l’annonce officielle, dans une interview tout à fait essentielle, Suzanne Pletti, vice-présidente d’Exit Suisse romande pointe un autre objectif de l’association, les « cas psychiatriques » (dès 07:26). C’est l’étape d’après, celle qui conduit à l’euthanasie active directe.

Il s’agit clairement d’une course en avant pour ossifier et fixer dans les moeurs des avancées qu’une législation prochaine ne serait pas forcément disposée à concéder. Exit prend ainsi le parti d’assumer pleinement les deux points dénoncés par le PNR 67, et qui feront très certainement l’objet d’une correction dans la législation pour autant que celle-ci parviennent à temps. C’est dans cette perspective que l’éthicien Denis Müller a parfaitement raison de parler de « grignotage » progressif concernant Jérôme Sobel.

Grignotage

« Pas une surprise« , « suite logique« , déclare Denis Müller, qui dénonce à très juste titre la confusion, recherchée par Exit, entre suicide assisté et euthanasie active (dès 01:03). Euthanasie active qui médicaliserait l’assistance au suicide, livrant la décision et le geste fatal au pouvoir d’appréciation du médecin, avec ou sans déclaration préalable consciente du patient d’ailleurs.

En fait de nouveauté, l’apparition de la sixième condition, est une fausse réforme à seule fin d’obtenir l’amnistie totale des agissements passés de façon rétroactive. En totale infraction de ses statuts, ou du moins de l’image qu’elle en donnait, Exit a suicidé des personnes ne souffrant d’aucune maladie incurable. La chose a été révélée par l’étude du Pr Egger et est désormais admise par les médias eux-mêmes (dès 00:46).

silberfeldDans les faits, la RTS enfonce joyeusement des galeries de portes ouvertes. Sobel parlait déjà, en 2008, sur son antenne, de « polypathologies invalidantes » des personnes âgées (dès 43:58). Le document de fond La Suisse et la bonne mort, publié par Sobel en 2007, plaçait déjà la surdité ou la cécité au rang des conditions propres à susciter l’éligibilité à un suicide assisté, de même que la « solitude« , le « chagrin« , l' »anxiété face à l’activisme médical« , les « nausées« , la « dégradation de l’image de soi« , la « perte d’identité« , la « soif « , la «  faim« , le « déshonneur« , l' »humiliation« , l' »indignité » ou encore la « douleur« .

Voilà pour les « polypathologies invalidantes« , pour le discernement, Exit s’en tient au questionnaire Silberfeld avec un score de 6 sur 10 minimum pour accéder à l’assistance au suicide. Voilà donc bien dix bonnes années que le bon docteur promène son monde au son de promesses rassurantes censées toutes reposer sur le prestige de la blouse blanche.

Comme l’explique Denis Müller, la destination finale d’Exit est à mille lieues du simple « droit » de tout un chacun de décider du jour et de l’heure de sa mort, qui vise bien au-delà, comme le dénonçait très justement Yvette Barbier, en 2008 déjà, et tend jusqu’au « pouvoir discrétionnaire d’un seul médecin, qui […] s’arroge le droit de décider seul » de l’impact réel « de cette succession de maladies que vous appelez exprès polypathologies invalidantes » (dès 44:44).

Ainsi, en ce beau mois de mai 2014, Jérôme Sobel nous a-t-il pris par la main pour sauter le pas qui mène de l’assistance au suicide – de la main qui tend le cocktail lytique à celui qui le boira lui-même – à l’euthanasie active – la main qui actionne le bouton, la seringue létale, porte elle-même le gobelet à la bouche du patient.

Le processus de renversement légal a déjà bien été entamé par la décision du tribunal neuchâtelois. Mais comment cela va-t-il se passer ?

Ce qui reste d’avenir

Dans son interview au Temps du 20 février, Jérôme Sobel nous fait le menu par le détail. L’interview de Florence Gaillard relevant évidemment de la mise en scène, la question du quotidien genevois fait tout autant partie des revendications de l’association que la réponse:

« Le Temps – Mais peut-on différer le geste? Faire une demande qui dirait par exemple: «Au moment où je ne reconnaîtrai plus mes enfants, faites-moi partir Docteur»?

Jérôme Sobel – Non. Ça serait possible en Belgique ou aux Pays-Bas, dont les législations admettent l’euthanasie active. Concrètement, cela veut dire qu’un malade peut, par des directives anticipées, faites avec tout son discernement, organiser que quelqu’un fasse à sa place le dernier geste. Un malade expose son choix au médecin et à ses proches, et fixe une limite au-delà de laquelle le médecin – s’il entre en matière sur ces questions – s’engage à faire une injection létale. Le médecin doit pour cela constituer tout un dossier qui valide la démarche. Ce cas de figure est illégal en Suisse. Il faudrait, pour que cela soit possible, une modification de l’article 114 du Code pénal, ce qui n’est, pour l’instant, pas en discussion.« 

L’art. 114 du Code pénal, « Meurtre sur la demande de la victime« , ça dit tout.

Jérôme Sobel demande deux choses ici:

– Premièrement, le droit d’en référer à une déclaration préalable du candidat, fût-elle antérieure de plusieurs années, fût-il devenu trop vieux pour pouvoir en changer. Sobel cherche ici à garantir à ses membres cotisants que le ‘travail’ sera fait même si ceux-ci tardent trop avant de l’appeler et ne disposent plus du discernement suffisant pour effectuer un réel acte de suicide librement consenti.

Une inquiétude à nouveau mis scène dans cet échange:

« […] Le Temps  – Prenons le cas d’une personne souffrant de démence sénile ou de maladie dégénérative et qui envisage un suicide assisté. N’y a-t-il pas une difficulté immense à déterminer le «bon moment»? En plus de souffrir, le patient doit tenir compte de la disparition progressive de son discernement?

Jérôme Sobel – Oui, c’est vrai. Une association comme Exit ne peut plus aider une personne si elle n’a plus son discernement. Compte tenu de notre Code pénal, c’est la limite qui nous est imposée. Alors oui, il y a une «ouverture», pendant un certain temps. A la personne qui vient nous voir, nous disons: «Si votre chemin de vie, votre détermination vous poussent à décider de partir à ce moment-là, nous pouvons aider, plus tard, non.» Nous avons déjà aidé à mourir des personnes atteintes d’Alzheimer, alors qu’elles étaient au début de leur maladie, parce qu’elles ont préféré partir «avec toute leur tête».« 

– Deuxièmement, pour ce faire, Sobel demande une compétence qui lui fait encore défaut, le droit de procéder lui-même à l’acte de suicide ou, pour reprendre la terminologie du Code pénal, de meurtre à la demande de la victime.

Ce n’est d’ailleurs pas autrement qu’il faut entendre l’acception de « polypathologies invalidantes« , il ne s’agit ni plus ni moins que de justifier les cas de suicides assistés de personnes atteintes de démence dénoncés par le Pr Egger au prétexte d’une déclaration antérieure à la perte de discernement.

C’est encore uniquement à cet égard qu’il faut considérer les déclarations de Mme Pletti sur les cas psychiatriques et la distinction, fort discutable au demeurant, que son association tente d’inventer entre malades mentaux discernants et non discernants.

Problème

Le problème réside essentiellement dans l’absence totale de variation, pour ne pas dire d’humanité, dans les définitions que Sobel tente d’imposer à la société civile.

Après avoir fait campagne pendant dix ans sur la liberté de choix, de reprendre son choix, jusqu’à la dernière seconde (dès 01:03:30 scène de mort, sensibles s’abstenir), Jérôme Sobel veut pouvoir engager le candidat, l’adhérent à son association, au-delà de la perte de son discernement. Or, cette conception repose sur la croyance erronée que le discernement se perd, une fois pour toute, du jour au lendemain et pour toujours. Certains patients, parfaitement lucides, perdent en revanche la faculté de s’exprimer et de se faire entendre clairement sur leurs intentions actuelles. Car, dans cette posture quasi fanatique qu’on ne peut lui nier, Sobel ne peut imaginer une seule seconde qu’on puisse vouloir lui retirer un jour le consentement qu’on lui avait abandonné.

Ce documentaire néerlandais est extrêmement dérangeant qui montre un vieillard muet tentant, entre la pression du suicideur, la désapprobation impatiente de son épouse et le doute général sur sa pleine capacité de discernement, de reprendre sa parole et de déchirer la déclaration qui l’engageait à mourir.

Car c’est là tout le problème de la vision de Sobel, une ignorance, un déni, du caractère ombrageux, saisonnier de l’âme humaine, qui peut changer cent fois d’avis en un instant. Une ignorance et un déni surtout de l’effet de la dépression sur la conscience d’un être qui se sait appelé à souffrir. La vision matérialiste déprimante de la vie d’un Sobel, d’une mort qui ne serait que souffrance si elle ne passait pas par ses mains, veut pouvoir saisir ces âmes au vol à l’instant où elles sont le plus fragiles, fragiles au point de consentir d’elles-mêmes à l’idée de leur propre disparition. Elle veut ensuite les enchaîner à cet instant pour le restant de leurs jours. Dans les reportages de propagande qu’il croit favorable à sa cause, la procédure d’accompagnement s’apparente le plus souvent à un maintien de la pression psychologique pour que le candidat ne soit pas tenté d’enfreindre le dogme libertaire au dernier instant. Cette pression prend encore une dimension supplémentaire quand on sait que M. Sobel pratique sur des personnes de 20 à… 106 ans.

Devant un tel acharnement, vient à se poser forcément la question du mobile. A qui profite le crime ? En2009, Pascal Couchepin avait défrayé la chronique, s’exclamant, sur les ondes de la RSR: « On ne doit pas faire de fric avec la mort. » Sobel proteste et préfère parler de « dédommagement » et de « forfait » aux « accompagnateurs« . Reste que l’étude Egger fait état de cotisations entre 40 et 100 francs. Le suicide est gratuit pour les membres mais Exit ne demande pas moins de mille francs aux non-membres pour un « passage« . A 90’000 membres, Exit engrange tout de même entre 3 600 000 et 9 000 000 de francs de cotisations.

En réactivant la notion de « polypathologies invalidantes« , Jérôme Sobel a rangé dans un vague fourre-tout, tout de cette fatigue (« fatigués de la vie« ), de cette faiblesse et de cet inconfort qui font la vieillesse de l’homme. En croyant dépasser la raison de la maladie incurable, Exit annule l’unique justification matérielle plausible de son action. En croyant pouvoir dépasser la nécessité d’une expression continue d’une décision discernée, Sobel retire ni plus ni moins que le droit à la parole de ceux censés venir grossir les rangs de tous ces morts qui, selon lui, parleraient pour sa cause, justifiant, par la même occasion, son existence, son existence à lui.

Ultime étape, enfin, Sobel retirera pratique et décision des mains des médecins et du contrôle de l’Ordre. C’est le sens de la procédure engagée auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour forcer l’Etat suisse à lui fournir ses doses de cocktail létal sans ordonnance.

En l’absence de toute législation claire, il faut dire que Jérôme Sobel a toute latitude pour multiplier les coups de boutoir contre les remparts moraux et idéologiques de cette civilisation. Tétanisé par la gravité de la question et son impuissance chronique à traiter des questions morales, le corps législatif n’a pas encore trouvé la force de réagir.

Jérôme Sobel, qui vient de boucler dix ans de campagne, prêchant sur le devoir de « lâcher prise » de la société civile et le refus de toute « tutelle » des aspirants au suicide, ne veut pas entendre parler non plus de tutelle légale sur ses « accompagnateurs« . Cependant, au vu du coup d’accélérateur qui vient d’être donné, celle-ci paraît de plus en plus urgente

Désert juridique

Conséquence de l’absence de législation, Sobel a pu dicter agenda et références à l’entier de la société sans la moindre espèce d’entrave.

La longue analyse ci-dessus tend à démontrer deux choses:

1. Jérôme Sobel ne respecte pas ses propre règles. Ainsi apprend-on, au détour d’un sujet télévisé de deux minutes, que celui qui jurait ses grands dieux, main sur le coeur, appliquer strictement le critère de la maladie incurable, ne l’a en réalité pas fait pendant « plus de dix ans« , autant dire jamais. L’on voit encore que la condition du discernement n’a pas été respectée.

Par conséquent, il convient de penser que le Dr Sobel a pris son parti de pousser l’ordre établi dans ses derniers retranchements, assumant sans complexe de prendre un peu d’avance sur les lois. Le fait est que, depuis sa création, Exit n’a jamais fait l’objet du moindre contrôle d’ordre éthique ou légal. Depuis plus de dix ans, des bénévoles formés sur le tas sillonnent le pays pour éteindre des vies dans des conditions que les rares études sérieuses sur la question ont toutes qualifiées d’obscures.

2. Acculé, Jérôme Sobel prend toujours l’initiative. Le bras de fer vainqueur avec les EMS vaudois est la preuve flagrante que, d’une part, la meilleure défense reste toujours l’attaque, et que, d’autre part, celui qui agit l’emporte toujours sur celui qui ne fait rien.

Cette question des EMS a d’ailleurs bientôt posé la question des limites ténues entre libéralisme débridé – celui d’un droit d’accès total aux candidats potentiels au suicide – et totalitarisme absolu – celui du refus de l’objection de conscience des directeurs d’EMS. Il ne s’agit pas d’une boutade, continuer la situation de vide juridique finira par nous conduire à des situations extrêmes, semblables à celle que notre pays a failli vivre avec l’instauration d’un principe de présomption systématique de candidature au don d’organes en l’absence de toute déclaration officielle contraire. Sans une réaction de la société civile, Jérôme Sobel pourrait fort bien finir par imposer sa vision matérialiste exclusivement dépréciative de la vieillesse ou de la maladie et créer une présomption de volonté suicidaire universelle au premier signe de faiblesse. Gageons que les compagnies d’assurance n’y trouveraient rien à redire.

Reste que cette immense lacune juridique semble relever d’une irréparable défiance des opposants à l’euthanasie à l’endroit de parlementaires dont ils ne sont plus certains de la capacité à légiférer de façon exacte sur la question. Pour preuve cette béance du mobile égoïste, au beau milieu de notre droit, qui ne parvient pas même à s’appliquer à un bénéfice de 3, 6-9 millions de rentrées annuelles.

En l’état, l’art. 114 du Code pénal ne doit pas bouger, une modification mal écrite risquerait de fournir des arguments inespérés à tous les assassins du pays; le « tabou » de la mort doit subsister, la condamnation du fait de la donner aussi. En revanche, l’art. 115 ne perdrait rien à se voir augmenté d’un 115 bis, qui fixerait une fois pour toutes les conditions d' »exploitation » du suicide assisté, précisant au passage, avec le conseiller Couchepin, que celle-ci ne doit pas faire l’objet d’émoluments. Le fait est qu’on ne doit pas faire de fric avec la mort, comme avec la vie d’ailleurs.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *