LRTV, petit putsch en passant contre vos libertés

Nguyen-Van-Ly_musele-2Le 14 juin prochain, le peuple est appelé à voter sur la révision de la loi sur la redevance radio/TV (LRTV).

Il s’agit d’un simple et unique déplacement sémantique : le terme « redevance de réception » se trouvant remplacé par celui de « redevance de radio-télévision ».

L’article 68 LRTV actuel établit que quiconque met en place un appareil de réception doit payer une redevance. La nouvelle version adoptée au Parlement s’emploie à fonder un droit de l’Etat à percevoir une taxe « par ménage et par entreprise » pour « le financement de l’exécution »1 de son offre médiatique, indépendamment de la réception.

Le gouvernement transforme ainsi une redevance contre services en une véritable obligation fiscale ; un impôt.

Dans les faits, cela signifie que l’actuelle liberté de refuser de consommer, et donc de financer, du média d’Etat se change en contrainte systématique de contribution. Mieux encore, la nouvelle loi fonde un droit de l’Etat sur la propriété des particuliers à fins de financement de ses programmes radiotélévisés. En clair, si vous ne payez pas, même si vous ne consommez pas, direction la case police, poursuites, voire prison si nécessaire. Aucune entreprise au monde ne peut vous forcer à consommer ses produits, l’Etat si.

Ainsi, dans une démocratie, la nôtre, le financement de l’une des deux parties engagées dans un débat politique, l’Etat en l’occurrence, deviendra obligatoire. Ce véritable coup de force politique repose sur le postulat angélique d’une parfaite neutralité de la SSR qui ne se vérifie nulle part, il suffit de considérer la composition de ses équipes de rédaction pour s’en convaincre.

A noter en outre que le gouvernement suisse tient probablement l’écurie de médias publics la plus fournie au monde avec 24 chaînes de TV et radio et autant de sites Internet2.

L’argument de campagne du Conseil fédéral tient dans l’assurance qu’au regard des progrès de la technologie, plus aucun citoyen n’est vraisemblablement susceptible de pouvoir échapper à la voix de l’Etat. Fort de ce constat, ledit Conseil décide ni plus ni moins que de procéder à la suppression de la liberté de choix. L’hégémonie comme argument principal de la restriction des libertés vers plus d’hégémonie.

Comble d’aisance totalitaire, ledit Etat avait mis en place une sorte de martingale, à base fonds publics, pour exonérer d’office les journalistes publics de la redevance. Ainsi, sourds et aveugles auraient été tenus mais pas les employés de la SSR. Détail un peu gros tout de même pour ne pas être dénoncé et, accessoirement, corrigé. Ceci étant, cette libéralité étant passée par ici, gageons qu’elle repassera bientôt par là.

Cette façon de faire est, pour l’essentiel, la réponse du gouvernement à la pétition de principe du Parti socialiste sur la politique des médias du 21 juin 2013 et intitulée paradoxalement, comme toujours : « Pour un système médiatique compatible avec la démocratie ».

Premier pas vers une étatisation de la profession de journaliste et une mainmise totale de l’Etat sur l’information. Il convenait de refermer bien tôt la brèche ouverte par Internet en contestant, notamment, la légitimité de médias privés susceptibles d’être réellement indépendants.

Ainsi, le document socialiste établit :

Le constat scientifique selon lesquels les médias institutionnels commerciaux et privés sont de moins en moins à même de fournir à la société un journalisme compatible avec la démocratie, précisément dans le secteur de la presse. Un journalisme compatible avec la démocratie se distingue par la pertinence, la pluralité des opinions et des fournisseurs, l’intelligibilité, la fidélité aux faits ainsi que par la distinction nette entre opinions et faits.

Inutile de préciser que le journalisme d’Etat ne correspond plus à cette définition depuis longtemps, ce qui explique d’ailleurs que le public s’en détourne peu à peu, sauf pour ce qui est de quelques émissions de sports ou de variétés ; mais passons.

Pour ce faire, le parti socialiste propose d’arroser plus largement les médias privés déjà nourris par la redevance et d’asphyxier les autres en les sortant du marché par voie de taxe : taxe publicitaire, notamment, et une autre sur le trafic de données Internet à caractère journalistique.

En résumé, draguer plus de fonds pour former les propagandistes en herbe, tuer la liberté économique de l’initiative privée dans l’œuf, rendre l’Internet aussi cher que ces journaux papiers qui ont été si durs et si longs à gagner. Bref, ériger l’information en monopole.

Mais ce n’est pas tout, autoritarisme socialiste oblige, les médias privés susceptibles d’exploiter une concession doivent encore faire l’objet d’un contrôle en conformité, le robinet à subventions ne s’ouvrant que pour des médias remplissant « certaines exigences en termes de conditions structurelles de la production journalistique. »

Exigences formulées par l’une de ces commissions sub-étatiques, échappant à toute forme de suffrage populaire : « une instance largement indépendante de l’administration publique », disposant, bien sûr, des « ressources nécessaires » et qui serait constituée de « représentant-e-s de la société civile tels que des expert-e-s économistes et des spécialistes des médias. » En d’autres termes, vous l’aurez compris, une niche à salaires pour les bons clients du parti et un détournement flagrant du processus démocratique.

Cette autorité de contrôle serait encore chargée de juger de « la pluralité d’opinion et thématique » ou de la « pertinence politico-sociétale » des diffuseurs concessionnaires. En clair, les pleins pouvoirs une fois pour toutes.

Le parti socialiste a très justement identifié la menace réelle que fait porter la liberté d’Internet sur ses capacités de propagande. La justification morale pour une destruction de cette liberté d’expression devenue trop libre est toute trouvée : trop de démocratie tue la démocratie.

Lisez plutôt :

A y regarder de plus près, même le soi-disant pays de cocagne numérique a ses zones d’ombre. Il est évident que l’opinion publique connaît une « démocratisation » inédite grâce à Internet mais si les masses considérables d’informations et de contenus de communication produits sur le réseau par ce qu’on nomme les « prosommateurs » génèrent une dynamique du bas vers le haut, elles induisent aussi le risque d’une « censure démocratique ». Il est certes facile de devenir producteur ou productrice sur Internet en créant une offre mais il est difficile d’attirer l’attention sur l’offre en question quand le « budget temps » du public potentiel ciblé est limité. Les expériences médiatiques collectives de personnes au sein d’un certain espace (politique au sens large) du monde réel se raréfient compte tenu de la foultitude d’informations où il y en a pour tous les goûts. C’est particulièrement vrai pour les sociétés d’abondance occidentales. Les démocraties sont face à un problème sérieux. Paradoxalement, l’individualisation croissante de l’utilisation des médias affaiblit d’une part la fonction d’intégration (de haut en bas) de l’opinion publique et d’autre part la vraisemblance d’un changement politique « par le bas ». Cela ne permet pas d’exploiter le potentiel émancipatoire d’Internet.

En clair, l’abondance de choix a dispersé les masses très au large de la propagande socialiste, les rendant inaccessibles au lavage de cerveau institutionnel en place depuis tant d’années. Il faut tuer la concurrence. Le peuple est trop faible pour choisir librement ce qui est bon pour lui. Il est par conséquent impératif de se réapproprier ce fameux « budget-temps » de cerveau disponible pour réimplanter la « fonction d’intégration de l’opinion publique » (de « haut en bas », faut-il le préciser…) et rendre ainsi à nouveau crédible le mythe selon lequel le « changement politique » ne saurait venir que d’en bas.

Cette dernière phrase est absolument capitale pour juger de la vision du monde du parti socialiste quant à la fonction réelle des libertés d’expression et de la presse. Elles ne peuvent, elles ne doivent, que servir à la cause de la fabrication de l’opinion publique et à son inoculation dans les consciences. C’est d’ailleurs ce qui explique que les termes de « démocratisation » ou de « censure [par voie] démocratique » soient mis entre guillemets, ne peut être démocratique que ce qui est conforme à la volonté du parti ; le peuple, c’est le parti.

Il est clair que le PS craint pour sa chanson. La conviction que le pouvoir démocratique « vient d’en bas » doit en fait venir d’en haut, doit être gérée, pesée, mesurée, contrôlée, décidée d’en haut. Vous devez croire être libres mais ne pas l’être du tout.

L’on tient là en, une seule phrase, l’essence même du programme révolutionnaire de ces trois cents dernières années. Cette démocratie-là est un leurre, est un mot, c’est un écran.

Partant de là, une impression de pluralité, d’unanimité, devient indispensable pour isoler toute forme de résistance et permettre l’implémentation de cette illusion d’opinion publique majoritaire. Cet à cet égard que l’on observe la multiplication de structures semi-publiques, sous contrat, censées donner la réplique à la voix de l’Etat dans cette vaste entreprise d’orchestration.

C’est là que des médias privés subventionnés doivent intervenir, en leur qualité d’auxiliaires, pour sacrifier au culte d’une vérité agrée transcendée par la notion de « Service public » et ramener la clientèle démocratique égarée au bercail:

Ainsi, les médias journalistiques demeurent importants pour la démocratie à l’ère du numérique et gagnent peut-être même encore en importance. C’est à eux qu’il appartient de canaliser les flux d’information et de communication. Ils sont censés contribuer largement à la transmission d’un horizon du savoir partagé et rendre ainsi possible le débat sur les questions politiques du vivre ensemble et du développement de la société. La Suisse, démocratie directe par excellence, a justement besoin d’un paysage médiatique caractérisé par la pluralité institutionnelle et des organisations médiatiques performantes dans les secteurs commerciaux, publics et de la société civile. L’idée du service public dans le domaine médiatique, en particulier, doit non seulement être défendue mais aussi étendue et développée à l’aide de modèles novateurs allant au-delà de la SSR et de la diffusion hertzienne.

Subtilité novlangagière, la « pluralité institutionnelle » se résume bien évidemment au mirage de la voix uniforme de la pensée unique, présentée comme un processus complexe d’accession à la vérité par la (con)fusion de diverses formes de pensées autorisées. Ce qui est le plus souvent confondu avec de la sagesse, une forme de tolérance passive pour à peu près tout ce qui peut se fondre dans le cadre extrêmement strict de ce qu’attend le gouvernant. Tout passe sauf ce qui ne passe pas. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, pas de pluralité pour les dissidents de la pensée unique.

C’est dans cette fausse unanimité, par exemple, que l’horreur de l’avortement est devenue un bien suprême, un droit fondamental des femmes opprimées. On peut dire n’importe quoi pourvu qu’on soit plusieurs à le dire, à le répéter, à le marteler en continu par voie de média pour appuyer l’illusion d’une opinion majoritaire, jusqu’à ce que cette illusion devienne réalité. C’est l’un de ces phénomènes de distorsion de l’opinion qui font que nous sommes chaque jour un peu moins dans une véritable démocratie. C’est cet apanage que le parti socialiste veut conserver à tout prix.

Dans cet ordre d’idée essentiellement hégémonique, le parti socialiste encourageait évidemment le gouvernement à sauter le pas de l’exigibilité de la redevance :

Une redevance généralisée est justifiée : en inscrivant l’article sur la radio et la télévision dans la Constitution, la Confédération a eu pour mission d’établir un système de diffusion hertzienne contribuant à l’éducation, à la formation d’opinion, à l’épanouissement culturel et au divertissement. C’est là une mission de service public établie démocratiquement dont l’accomplissement bénéficie directement ou indirectement à tout le monde, y compris aux personnes qui consomment rarement voire jamais des programmes radiotélévisés.

La grande communion dans l’idéologie dominante ne peut que profiter à tous et, à plus forte raison, au séditieux, au réfractaire, à l’ennemi du peuple qui s’ignore peut-être, au réactionnaire, à celui qui veut faire acte d’intelligence individuelle sans vouloir tolérer de tutelle idéologique de l’Etat, sans accepter de payer le tribut de sa liberté, d’honorer de droits d’auteur à la pensée préfabriquée.

Voilà, en somme, le pacte fondateur du révolutionnaire : « Donne-moi tout et je te donnerai le pouvoir. » La propagande vous rendra libre, la liberté c’est l’esclavage, pour ne citer qu’Orwell et son bienveillant Big Brother.

Ce qui peut encore frapper dans cette affaire, c’est que le référendum salutaire lancé contre la révision de la loi n’est pas venu des citoyens mais des entreprises, lesquelles estimaient sans doute avoir mieux à faire que de regarder en boucle des séries à l’eau de rose pour personnes âgées aux heures de bureau. Ainsi, pas de grande quête pour la sauvegarde des libertés démocratiques mais un réflexe d’agacement patronal pour secouer le joug d’une nouvelle charge.

L’on sent ici comme une lassitude résignée, une habitude du citoyen à voir ses libertés une à une supprimées. Or, la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas, et là la guerre d’usure est bel et bien commencée.

Noël Macé

Image: Vendredi 30 mars 2007, à Huê, un membre des services de sécurité tente de faire taire le Père Nguyen Van Ly, tandis que celui-ci proteste, lors de son procès et devant les caméras de télévision, contre une « loi de la jungle » d’inspiration « communiste ».

1FF 2014 7085.

2« 6000 employés (soit 5000 postes à plein temps), un chiffre d’affaires de 1,6 milliard de francs, 17 stations radio et 7 chaînes. » Chiffres, données, faits 2013/2014 SRG SSR.

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