ECAV (II) : Faire fortune en vendant ce qu’on n’a pas

Martingale : Comment une bande de financiers ont trouvé le moyen de monétiser ce que le droit fédéral avait fait gratuit. Des montants exorbitants, à l’ « américaine », qui plus est sans la moindre garantie.

L’on a tous en tête l’histoire de cet escroc de génie qui a réussi à vendre la tour Eiffel… deux fois. Et bien, à Genève, ce n’est pas différent.

Selon l’art. 7 al. 3 LLCA, le Bachelor en droit est une condition suffisante pour l’admission au stage d’avocat, le Master ouvrant d’office l’accès à l’examen de brevet une fois le stage accompli (7 al. 1 let. b LLCA). 15 ans de maturité, 3 ans de Bachelor, environ 2 ans de Master, tout cela est encore trop « gratuit » pour la République du bout du lac.

Le fait est que les nouvelles générations fuient la qualité d’employé comme la peste et se ruent sur les professions libérales encore vues, de réputation – mais de réputation seulement -, comme forcément moins domestiques. Une occasion pour l’Etat de placer des péages tout le long du chemin et une autre, pour l’ordre des avocats, de freiner une concurrence qui pourrait bien, à terme, tuer la poule aux œufs d’or.

Chère formation

Juin 2000, coup de génie, l’on abuse de la compétence cantonale (7 al. 1 LLCA) pour coller une obligation de « formation approfondie » (24 al. 1 let.b LPAv) comme préalable à l’examen de brevet. Le libre accès au stage est garanti, comme le permet le droit fédéral, mais perd toute pertinence devant ce nouvel obstacle. De fait, les études genevoises conditionnent désormais la place de stage à l’obtention du diplôme de l’Ecole d’avocature (ECAv).

Le principal argument commercial tient dans une vague promesse – une rumeur tenace dans les couloirs des facultés de droit – que l’examen du brevet genevois serait, au final, plus accessible que ceux des autres cantons romands. A l’ECAv, on vous assure aussi que la relation avec le maître de stage est plus harmonieuse, l’étudiant arrivant mieux formé – ce qui en dit long sur la baisse de niveau du Master -, et que l’échec, s’il survient, arrive après seulement 6 mois, au lieu des 18 ou 24 dans les autres cas, que l’on perd ainsi moins de temps.

Formatage

Reste que sa vocation prétendue, faciliter l’accès au stage et mieux préparer au brevet, n’est en aucun cas remplie. L’ECAv était en surchauffe dès sa première année de fonctionnement. Outre que cette légende d’un traitement plus « favorable« , ne se vérifie guère, la réussite des examens ne constitue pas même une garantie d’accès au stage, lequel est pourtant quasi systématique après un simple Master dans les autres cantons. Et, sans stage, pas de brevet. Les files d’attente s’allongent, la galère des diplômés de l’ECAv peut parfois durer plusieurs années.

Ces problèmes structurels n’empêchent pas cette institution publique, battant pavillon de l’université, de réclamer  3’500 francs d’écolage, pour à peine quatre mois de cours, à près de 300 inscrits. Ainsi l’ECAv vend-elle à grand prix ce dont elle ne peut disposer. Hors de question, évidemment, pour l’UNIGE, de placer la sélection en amont, aux niveaux des Bachelor  ou Master, ce qui aurait pour effet de faire baisser le nombre d’inscription et, par conséquent, les frais. Le certificat de l’ECAv participe donc de cette stratégie de faire cracher au bassinet une « clientèle » gardée captive un semestre de plus sur la promesse de lendemains qui chantent. Et la fait est qu’ils ne chantent pas, loin de là.

Ce faisant, l’université n’est plus le carrefour des connaissances mais une vaste usine à rentabiliser le savoir, une attrape, pour habituer l’avocat de demain à cette totale soumission à l’Etat, qui finira par avoir raison de son indépendance, dans un monde où l’argent est le but et la fin de tout.

Noël Macé

Voir aussi:

Ecole d’avocature (I) : La guerre des clones