Psychanalyse: « Révolution permissive et sexualité »

cliquerPar André Bergevin, professeur honoraire à l’Université de Paris

Un ouvrage qui nous livre une étude globale de tous les facteurs de décadences de notre société. Une petite somme décortiquant avec rigueur les slogans et les manières de vivre qui se sont implantés, lentement mais sûrement, dans tous les milieux occidentaux et au-delà.

Depuis la famille et ses carences, à la grande manipulation de l’idée, devenue très élastique, de sexualité, aux différents vecteurs de perversion que peuvent être et le sont le scientisme et ses dérivés, aux dogmes politiques contemporains, tout y passe pour une analyse et un décryptage de ce qui nous permet de survoler le carnage que nous côtoyons quotidiennement, sans déceler l’abîme indicible qui s’ouvre chaque jour un peu plus !

On ne sort pas indemne d’une semblable lecture! Soit on reste mouton de Panurge, mais cette fois-ci en pleine connaissance de cause mais sans plus d’excuse, soit on avance dans la quête d’une véritable liberté, d’une vérité libre, d’une vérité qui rend libre: « La vérité vous rendra libre !». Mais comme la boussole de la moralité a été faussée voire abandonnée, Bergevin nous illumine encore par une esquisse de ces pertes dont nous ne savons plus qu’elles nous manquent.

Ce somptueux ouvrage fera sans aucun doute référence longtemps dans les bibliothèques des nouveaux "libres-penseurs". Humour et citations faisant bon ménage tout au long de cette minutieuse description; florilège savoureux qui ne laisse plus grand chose aux secours promis par les spécialistes actuels de « l’âme »:

La psychanalyse et ses dérivés : la référence incontournable

La psychanalyse est devenue une référence obligée pour penser l’homme et notre époque. Quel est son incidence sur les dérives que nous étudions ? Cela mérite que nous nous y arrêtions tout particulièrement.

a) L’incidence ambiguë de la psychanalyse sur la santé mentale

Précisons tout d’abord que la diffusion et l’impact social de l’approche psychanalytique ne se limite pas aux séances de psychanalyse qui s’affichent comme telles. La psychanalyse, ses prétentions et ses dogmes envahissent la vie quotidienne par de multiples canaux, à commencer par nombre de "simples" psychothérapies. Thérapeute lui-même, A. Andreoli le reconnaît explicitement : «La "psychothérapie analytique" se révèle, ouvertement désormais, n’avoir été que l’habit dont une époque a vêtu la psychanalyse pour répandre ses objectifs et pour cacher son scandale ».

La névrose s’étend sur le monde moderne à une vitesse inquiétante, et si le mouvement persiste (aucun inversion du processus n’est en vue), passer – à un moment ou à un autre de sa vie – entre les "mains" d’un psychothérapeute ou d’un analyste deviendra bientôt le lot d’une majorité de personnes. Peut-on au moins en espérer un remède à la hauteur du mal? Pour les psychothérapies, qui peuvent être très diverses et qui, même analytiques, représentent une "forme atténuée", cela dépend du thérapeute ; mais pour les analyses véritables on est en droit de se poser des questions.

Freud lui-même a porté des constats amers quant à l’efficacité de la psychanalyse sur ses patients (entre autres dans un article "Analyse terminée et analyse interminable", diffusé de façon assez restreinte). Non seulement il doit constater que les résultats pratiques ne coïncident pas avec la théorie, mais aussi, "qu’enfin de compte, la différence entre le non-analysé et l’analysé, au point de vue du comportement ultérieur de ce dernier, n’est pas aussi nette que nous le désirerions, l’attendrions, le prétendrions." (belle honnêteté, sauf que le conditionnel est de trop, car bien des psychanalystes le prétendent). Finalement la guérison est comme un horizon qui fuit sans cesse : « L’analyse thérapeutique d’un malade est un travail non pas terminable mais infini » ; et le maître en vient même à admettre qu’ainsi que le résume le psychiatre et psychanalyste Georges Abraham : « Tout ce qu’un psychanalyste peut faire, c’est tout au plus transformer une misère névrotique en misère réelle. »

Tout psychologue ou pédagogue sait que nos motivations sont normalement orientées vers un objet-but, mais que lorsque nous désespérons en secret de l’atteindre, nous nous rassurons et justifions à l’aide de vains prétextes. Sans prétendre "analyser" le "Père fondateur" (quel blasphème !), on peut cependant se poser des questions au vu des arguties avancées par Freud pour éluder les échecs thérapeutiques.

Voici tout d’abord des arguments d’impossibilité théorique, du genre "je n’ai pas l’outillage adéquat, c’est impossible" : « Il semble que la psychanalyse soit [une] de ces professions impossibles où l’on peut d’avance être sûr d’échouer ». On trouve encore des faux-fuyants ambigus : « Le but thérapeutique n’est pas le but principal ni même le but essentiel de la psychanalyse ». On trouve ensuite des arguments de mépris, comme ceux du renard du fabuliste trouvant les "raisins trop verts et bons pour des goujats" : « Seuls peu de malades sont dignes des efforts que nous leur consacrons, si bien que notre position ne doit pas être thérapeutique » (il ne précise pas si pour les cas reconnus "dignes", un effet thérapeutique peut être non seulement envisagé, mais réellement attendu. On rencontre enfin des tentatives d’éluder la question : « A dire les choses franchement, les problèmes thérapeutiques ne m’intéressent pas beaucoup […]. Je m’occupe tout le temps de théorie, je m’en occupe beaucoup trop, si bien que les occasions qui se présentent [cela s’appelle aussi des patients !] me servent plus à travailler ma propre théorie qu’à faire attention aux questions de thérapie ».

Beaucoup de disciples de Freud ont renoncé à sa position prudente, mais inconfortable, concernant des effets thérapeutiques plus que problématiques. Ils sont beaucoup plus affirmatifs et se veulent sécurisants, ne voulant pas décourager les patients qui sont par ailleurs des clients. Cependant certains, comme Thomas Szasz (qui est pourtant aussi analyste), affichent un pessimisme incisif : « La psychothérapie est un mythe. Les interventions psychothérapeutiques sont des traitements métaphoriques qui sont aux traitements médicaux ce que la critique et la production de programmes de télévision sont à la réparation des téléviseurs ». Tout récemment, J. Bénesteau, psychologue clinicien, dans un ouvrage éloquemment intitulé "Les mensonges freudiens" met en cause l’honnêteté intellectuelle d’un Freud publiant des cas de "guérisons" qu’il reconnaissait en privé comme inaccomplies. Edward Erwin, universitaire, philosophe spécialiste de psychothérapie, éditeur en chef d’une encyclopédie freudienne américaine, n’hésite pas à affirmer avec autorité : « Alors que le siècle s’achève, un siècle que certains ont nommé "le siècle de Freud", l’évidence autorise les verdicts suivants. L’efficacité de la thérapie de Freud a-t-elle été établie ? Non. Quelle part de sa théorie a été confirmée ? Pratiquement aucune. Ces verdicts sont probablement les derniers ». Même si ces propos peuvent paraître extrêmes, il semble bien que trop souvent (comme le dit le philosophe François Georges, paraphrasant Machiavel) la seule modification obtenue chez le patient est que "La névrose continue par d’autres moyens". Nous approchons là, une situation effectivement machiavélique car les "autres moyens" psychiques – soutenant l’ego soi-disant reconstruit – sont parfois plus onéreux que les premiers.

L’essayiste M. T. Maschino dans un livre décapant, laisse largement s’exprimer des analysés s’estimant victimes de leur "thérapie". Ces patients se considèrent désormais comme "démontés" et avec un bien succinct mode d’emploi des "morceaux", ils se sentent incapables de retrouver un équilibre tant mental, qu’affectif et encore moins moral. Chez certains, la psychanalyse produit un trouble bien compréhensible que l’on peut évoquer par l’analogie suivante. C’est un peu comme si quelqu’un devait dorénavant vivre au milieu de toutes les saletés qu’il avait entassées au grenier et à la cave, voir mis aux ordures depuis sa plus tendre enfance. Les "réduits obscurs" de son inconscient s’en trouvent peut être dégagés, mais le moi du sujet est bien encombré et passablement désillusionné ! Cette situation est d’autant plus difficile; que le sujet doit désormais non seulement porter-assumer, les « pires éléments de la nature humaine » suivant la formule du psychiatre Roland Dalbiez, mais de plus il doit le faire sans l’aide de ses systèmes de défense et sans ses valeurs antérieures, ramenées simultanément (pour la plupart) au rang d’illusions. Rien d’étonnant donc à ce que Françoise Dolto, elle aussi, ait reconnu : « Une psychanalyse, en elle-même, n’a jamais rendu un être plus sain qu’avant ». Et faute de valeurs (parties en fumées) certains se montrent même nettement plus malsains qu’avant.

Les bénéfices sont donc douteux, mais qu’en est-t-il des risques ? Au vu de ce qui précède, Roy R. Grinker (peut-être retenu par ses anciennes relations amicales avec Freud), semble cultiver l’euphémisme en déclarant : « Il faut être un névrosé en relativement bonne santé pour pouvoir être analysé sans encourir de risques de déviations ou d’altérations » ! Le malaise inhérent à ce genre de thérapeutique est tel que parfois l’irrémédiable se produit. Déjà Freud écrivait à Jung : « Je m’étonne de ce qu’en vérité nous consommons beaucoup de personnes » ! Pour sa part, Maschino rapporte ces propos de Colette Chiland, universitaire et psychanalyste, reconnaissant que : « Les suicides sont fréquents dans l’École freudienne de Paris » (car c’est toujours chez les autres écoles psychanalytiques que cela ne fonctionne pas).

La toxicité du désenchantement lié aux non-valeurs de la psychanalyse semble statistiquement confirmée par le taux élevé des suicides chez les thérapeutes eux-mêmes. J. Bénesteau rapporte en effet que sur les trois centaines de psychanalystes qui furent les pères fondateurs de cette nouvelle "liturgie" avant la Seconde guerre mondiale, le taux de suicide fut de 8 %, soit plus de trois cents fois la moyenne standard de l’époque.

L’ensemble de ces faits montre que ce n’est donc pas sur la psychanalyse que l’on peut fonder l’espoir de sortir du marasme existentiel et éthique de notre époque.

En conclusion, comme disait un grand esprit anglais du siècle dernier: "La psychanalyse est une maladie qui croit être sa propre guérison".

Révolution permissive et sexualité, Editions François-Xavier de Guibert (Amazone)

HW

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