La lacheté de l’Europe face à l’islam

Comment douze ridicules petites caricatures de Mahomet ont-elles pu mettre à feu et à sang le monde musulman, provoquer la mort de 140 personnes et occasionner des dizaines de millions d’euros de dégâts ? C’est à cette question qu’a voulu répondre Jeanne Favret-Saada, anthropologue et spécialiste des rituels religieux. Dans Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, une rigoureuse reconstitution historique jette les bases de l’analyse.

A la fin des années 1960, le Danemark ouvre ses frontières à une main-d’oeuvre déqualifiée en provenance du Moyen-Orient. Des années durant, cette immigration ne pose aucun problème. Les premiers migrants font venir leur famille et s’installent définitivement. A partir des années 1980, force est de constater que les Orientaux ne deviennent pas des Scandinaves et qu’une frange importante de la population immigrée s’enkyste dans des ghettos où elle perpétue les moeurs hyperconservatrices des pays d’origine. Au Danemark comme partout ailleurs en Europe, des partis populistes partent en guerre contre cette immigration mal contrôlée.

Au moment où la société danoise s’interroge sur sa recomposition ethnique, la communauté musulmane est travaillée en sous-main par un quarteron d’imams palestiniens membres de la confrérie des Frères musulmans. Le premier ministre Fogh Rasmussen comprend assez vite que la non-intégration des musulmans devient un outil entre les mains de ces radicaux. Mais, faute de pouvoir réduire leur influence de manière autoritaire, il compose et dialogue avec eux. Il renforce alors leur audience à l’intérieur et leur influence à l’extérieur des frontières.

C’est dans ce contexte que le JyllandsPosten lance sans le savoir une bombe à retardement. Estimant que les élites culturelles danoises ont progressivement appris à se censurer vis-à-vis de l’Islam, le journal convainc douze caricaturistes d’imaginer le Prophète. Les dessins sont publiés, la mèche est allumée. Les imams qui tentaient depuis longtemps d’obtenir du gouvernement danois qu’il bride la liberté de la presse partent en guerre.

Un dossier largement truqué sous le bras – les douze caricatures plus d’autres ignominieuses copiées-collées sur Internet -, ils entament un tour des capitales arabes. Au sein du monde musulman, des forces qui n’attendent qu’une occasion pour se déchaîner entrent en jeu. La palme de la manipulation revient au gouvernement égyptien. Soucieux de se construire une image de défenseur de la foi au détriment des Frères musulmans qui le menacent, le gouvernement égyptien trouve commode de lâcher la populace contre les symboles danois en Egypte. La Ligue arabe et la chaîne Al-Jazira prennent le relais ; les émeutes gagnent progressivement le Pakistan, l’Arabie saoudite, Gaza, la Libye et ailleurs.

C’est à ce stade que le livre de Jeanne Favret-Saada devient passionnant, car il détaille la réaction des Européens. La fermeté du gouvernement danois face à la violence, son extrême solitude tant les autres pays membre de l’Union sont rapides à prendre leurs distances ; la solidarité tardive des médias européens avec le JyllandsPosten – l’absence de solidarité en France – sont scrutés à la loupe.

Dans les semaines qui ont suivi la fin de la crise, le Danemark et les autres pays européens s’efforcent de renouer les liens avec les pays arabes. Partout, ils butent sur une colère intacte et toujours la même demande de  » lutter contre l’islamophobie « . Face à cette exigence, aucun officiel européen n’ose jamais rétorquer que la liberté de penser et d’écrire n’est pas négociable. Pressés de normaliser les relations, les Européens agissent comme si l’affaire danoise n’avait été qu’un simple prurit. La dernière page tournée, le lecteur comprend, lui, qu’il a le choix entre l’autocensure… ou le conflit. ->
PM

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