Bologne, premier constat: Plaidoyer urgent pour le bon scolaire

Je n’aurais pas la prétention de faire ici l’explication du Processus de Bologne – pour la simple et bonne raison que les corrections et autres précisions du règlement que je reçois du rectorat de mon université environ tous les deux mois suffisent à me démontrer que je ne suis pas le seul à n’y rien comprendre – mais seulement de vous parler de mon expérience. Expérience, à mon très humble avis, intéressante à plus d’un titre:

1. J’ai accompli un cursus universitaire complet avant Bologne et en prépare un second sous le nouveau régime.

2. En tant qu’assistant diplomé de la faculté des Lettres de Lausanne, j’ai assisté à la procédure de consultation du corps enseignant avant application dudit processus.

3. J’ai fait le premier semestre de la première année de droit à Fribourg il y a 12 ans et le second cette année: Mêmes professeurs, pour la plupart, même université, régime différent.

– 1 Pour le premier point, j’aurais peu de choses à dire tant il est évident que Lettres à Lausanne et Droit à Fribourg sont deux mondes totalement distincts. Quelques témoignages d’anciens collègues et professeurs d’histoire: Le nouveau programme est lourd, scolaire est le qualificatif, fortement péjoratif, qui revient le plus souvent, la liberté académique a presque totalement disparu et le corps intermédiaire se retrouve changé en correcteurs des innombrables travaux écrits qui sont exigés des étudiants pour se donner l’impression qu’ils travaillent et rassurer des autorités universitaires n’ayant plus le courage de sanctionner les cancres aux examens; démocratie du savoir oblige.

Petite anecdote, je me souviens avoir fait passer, en tant qu’expert, un examen de 4e année (dernière année) d’histoire à un étudiant issu du secondaire vaudois, lequel suivait la question (l’étudiant doit lire la question) de son index et ânnonait péniblement. Outre le fait qu’il fût clairement analphabète, l’examen était nul, je penchai pour un 2, le professeur, grand seigneur, lui donna la moyenne parce qu’il ne fallait griller un étudiant parvenu si loin dans ses études; et s’il était allé si loin, vous vous en doutez, c’est que les mêmes largesses lui avaient été accordées en 1ère, 2e et 3e années. Quelques semaines plus tard, diplôme en poche, l’étudiant en question fut probablement ventilé comme remplaçant dans l’enseignement public… et vogue la galère.

Pourquoi ai-je choisi de rempiler pour un nouveau diplôme à 30 ans passés ? Je n’en pouvais plus d’entendre le rire sacarstique des recruteurs d’emploi à la lecture de mon CV. Il faut savoir qu’une licence en Lettres en Suisse vaut aujourd’hui moins qu’un permis de chasse sur le marché du travail et ne vous permet même pas de tirer le petit gibier, ce qui au moins m’aurait permis de manger.

– 2 C’est sans nul doute pour répondre à ce profond malaise, à cette indiscutable défiance du monde universitaire envers le secondaire et la très forte dévaluation de la Maturité (équivalent suisse du Bac) que Bologne a été si docilement accueilli.

Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas eu de surprise: L’information était faite et une certaine opposition estudiantine, de gauche comme de droite, avait attiré l’attention sur les principaux dysfonctionnements du processus.

Bologne était le pire modèle de soumission au système universitaire américain, les titres, et jusqu’aux diplômes, se retrouvaient réduits à l’anglicisme le plus vulgairement macdonaldien, Bachelor, Mâster, mondialisme à toute les pages, enseignement alourdi d’une année, année que l’on nous présentait comme une 5e année, poussant plus avant dans la recherche de perfection; nous verrons plus bas ce qu’il en fut. L’extrême-gauche étudiante échaffaudait la barricade, le corps intermédiaire hérissait le poil devant les augures néfastes de quelque Cassandre ayant eu l’énergie de lire le texte du processus jusqu’au bout, et les professeurs se mettaient à compter le temps qui leur restait à tirer jusqu’à la quille, ce qui, en général, est plutôt mauvais signe…

Et là ce fut le choc, le silence total. Je me souviens encore, comme si c’était hier, de la séance d’information aux assistants d’histoire où j’entendis le patron de la section d’histoire, le Pr. Hans-Ulrich Jost, gausciste entre les gauscistes, primus inter pares, siégant à jamais à la gauche du petit père au Panthéon des grands révoltés de l’histoire de l’humanité, me rétorquer que « c’était comme ça » et « qu’il n’y avait rien à faire ».

Ceux-là même qui nous collaient jadis 2 mois de grève d’étudiants, bloquaient l’accès aux salles de cours, par la violence si nécessaire, dès qu’on enlevait 100 francs au budget de la cantine, se couchèrent piteusement et de s’en aller brouter bien sagement son pré-carré en mâchant la bouche fermée pour ne déranger personne. Voilà qui fleurait bon tout de même un peu la discussion de loge…

Ce qui fut le plus gênant dans cette aventure c’est qu’il n’y eut pas de choix, pas même l’éventualité, pas de vote de la part des instances souveraines de l’université, pas même, semble-t-il, de capacité de réviser ou d’interpréter les points les plus probématiques. L’acception du processus fut discutée par des professionnels acharnés de l’européanisation de la Suisse, pour la plupart étrangers au « vrai monde » universitaires et à ses besoins, les objections du corps enseignant classées à la verticale, le tout imposé par « en-haut » avec une petite prime en sus pour aider la médecine à couler et acheter les silences.

3 – C’est en reprenant mon année de droit laissée en plan depuis 12 ans que je compris ce qu’était Bologne en fait, ou ce qu’il était devenu une fois passé au crible de toutes les tentatives du corps professoral pour tâcher de limiter les dégâts: Une année de collège suppémentaire.

Une année post-maturité pour tenter de rattraper le niveau d’instruction et s’assurer des capacités de lecture, d’écriture et d’assimiliation des candidats au titre universitaire. Le tout saupoudré de notions juridiques basiques, pour habiller, et sanctionné par un examen de fin d’année aux allures de numérus clausus; mais chuuut, c’est tabou !

Bref, droits pénal et constitutionnel mis à part, l’ensemble du programme de 1ère année de Droit d’il y a 12 ans correspond en tous points au programme de 2ème année actuel. Pour preuve les très larges équivalences qui me furent accordées sur la base de mon diplôme de Lettres (je ne m’en plains nullement, je suis ravi), qui me libéra de toutes les branches introductives pour ne garder que… le droit pénal et constitutionnel.

Une année pour rien, une année perdue à 60.000 balles minimum par têtes de pipe, tout cela parce que personne n’a le courage de dire que l’enseignement secondaire ne remplit plus sa mission et s’est changé en repère de crétins d’autant plus orgueilleux qu’ils sont bardés de diplômes, comme certains n’ont pas le courage de dire à leurs élèves que l’agriculture manque de bras.

Collèges et universités semblent s’être transformés en vastes bassins de captation censés retenir les diplômés le plus longtemps possible pour éviter un embouteillage sur le marché du travail de plus en plus saturé de surdiplômés sous-qualifiés. L’université n’est plus qu’une grande garderie d’étudiants en quelque sorte où le sevrage est de plus en plus retardé (et encore vous fais-je grâce des programmes de 3e cycle et autres postgrades qu’hantent les pectres miséreux de pauvres thésards quadragénaires en espérance d’une vie après l’uni).

Une solution ?

S’il apparaît que le processus de Bologne va fortement dévaluer la cote des « Master », ex-licence – pour preuve les hésitations aristocratiques de beaucoup d’anciens étudiants à demander l’équivalence (payante) de leur licence en Master. En effet, au début, le Master, en raison de l’année supplémentaire, était présenté comme supérieur, mais de plus en plus d’étudiants considèrent que le papier de licence est un gage de qualité « à l’ancienne » et préfèrent invoquer ce dernier sur leur CV, tout en mentionnant l’équivalence, qui est toujours un plus (j’ai la mienne, 50 balles et… 6 mois d’attente), et ce même si la double titulature est interdite – il apparaît d’autant plus clairement que le problème se situe au niveau du secondaire.

En effet, depuis 40 ans que la gauche s’est abattue sur l’enseignement comme une nuée de criquets, la qualité dudit enseignement n’a cessé de décliner exponentiellement. Il faudra que quelqu’un nous explique un jour comment des établissements de renommée internationale, au moment où l’Eglise les céda à l’Etat (Fribourg, Saint-Maurice, Sion), se sont changés en laboratoire frénétique de toutes les lubies post-modernes pour finir en ces parcs à nigauds irréparables, occupés le plus clair de leur temps à enfiler, dès 12 ans, des capotes sur des bananes et où, semble-t-il, on fait tout pour les protéger du savoir, ce avec un succès qu’il convient de saluer tant il est rare de constater des succès dans ce domaine.

On vous fera grâce de la traditionnelle, mais néanmoins indispensable, critique des méthodes d’enseignement des maths et de la lecture pour rappeler, à titre d’exemple, qu’il fut un temps où l’instruction publique valaisanne dispensait pas moins de 9 méthodes de grammaire différentes entre une multitude de classes « test »… génération sacrifiée sur l’autel d’une idéologie aussi faible qu’elle sait être tyrannique à ses heures.

Autre anecdote, encore étudiant à Lausanne, j’eus l’opportunité d’enseigner l’histoire aux petites classes (10-13 ans) à Champittet, école privée, centenaire, de grand renom mais qui piquait du nez depuis le départ des chanoines du Grand-Saint- Bernard. L’année où j’entrais, l’école passa de 250 à 750 élèves, avec des écolages annuels frisant, si mes souvenirs sont bons, la quinzaine ou vingtaine (internat) de milliers de francs, en une seule rentrée. L’Etat de Vaud était passé au modèle EVM (école vaudoise en mutation) plus communément dénoncé sous l’appellation d' »école sans notes ». Les parents avaient pu apprécier les premiers fruits de la réforme et s’étaient montrés prêts à tout pour éviter cela à leurs enfants, sans même parler des problèmes de sécurité propres aux écoles publiques etc. On a vu des coiffeurs se saigner aux quatre veines pour « donner une chance » à leurs enfants.

Le problème vient exclusivement du monopole de l’Etat sur l’enseignement, enseignement que la droite bourgeoise a cédé à la gauche par désintérêt et en échange d’une paix totale dans l’exercices de ses passions financières, une gauche qui a pris le parti de travailler les nouvelles générations « sur la longueur » et d’assurer sa domination définitive par un règne sans partage sur des intelligences privées à dessein du moindre esprit critique. Cela est devenu à ce point symptomatique que c’est à peine si les bons terriens de mon parti (l’UDCVR) ne me jette pas d’eau bénite en voyant débarquer un universitaire. Je plaisante, évidemment, mais le fait est que ceux-ci se sont arrachés de la « matrice » (pour reprendre une terminologie chère aux fans de Keanu Reeves) par un contact permanent avec les dures réalités de la terre, réalités dont l’universitaire ignore tout, la disparition de la philosophie dans son cursus n’est pas pour rien dans cette étrange absence. Il fut un temps où le coup de « chacun sa vérité » aurait fait sourire et hausser les épaules. Maintenant vous en avez qui lisent les cahiers du Temps pour s’instruire et d’autres qui écoutent le 19:30 de la TSR comme s’il s’agissait du prône dominical.

Il est peu vraisemblable de changer le système de l’intérieur, les professeurs sont filtrés, la forteresse bien gardée par les sentinelles de la pensée unique. Une seule solution, aller voir ailleurs. Or le système est tel que celui qui paie déjà des impôts pour l’instruction de ses enfants devra encore s’amputer d’une large rallonge pour s’assurer qu’elle soit bien faite. Moralité, l’enseignement de qualité devient l’apanage des riches, lesquels, selon le couplet consacré deviendront toujours plus riches, donc plus méchants.

La seule façon de donner à chacun les mêmes chances au départ et de permettre aux parents de redevenir les vrais maîtres de l’éducation de leurs enfants serait de soumettre l’idole obèse de l’instruction fonctionnaire aux lois de la concurrence:

Un bon, distribué aux parents ou tuteurs, à faire valoir dans l’école de son choix, forcerait le public à jouer dans la cour des établissements vendant la qualité et à quitter cette posture de lourd organe de propagande étatique reposant mollement sur l’épais matelas de la masse fiscale solidaire.

Libéraliser le marché de l’enseignement permettrait d’assurer la qualité aux enfants de parents moins nantis, de diminuer le nombre d’élèves par classe, de permettre le développement d’établissements spécialisés (sous/surdoués), une meilleure intégration des étrangers par l’intermédiaire de classes adaptées aux non francophones etc.

Bien sûr, pour éviter de financer les Madrassas, l’inspection étendrait ses contrôles à l’ensemble des établissements enregistrés et le cahier des charges serait clairement défini.

Ainsi, le fonctionnaire enseignant devrait retrousser ses manches et gagner sa croûte aux mêmes conditions que tout le monde. Tout le monde a gagné à la libéralisation du marché des conversations téléphoniques, par exemple, il n’y a aucune raison qu’un structure étatique politisée nous impose encore plus longtemps des modèles datant d’un XIXe radical nationaliste pour le moins éculé où l’on a voulu détruire les libertés de l’école pour imposer l' »école libre ».

La loi impose au citoyen de veiller à l’éducation des ses enfants, c’est au citoyen de décider qu’elle doit être cette éducation, pas à l’Etat. Ouvrez l’école !

AR

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