La chronique de l’aumônier: La Toussaint, le Christ-Roi et les schizophrènes

La fête de la Toussaint dirige nos regards vers cette multitude de témoins, connus et inconnus, qui ont pris l’Évangile au pied de la lettre et en ont pratiqué l’esprit jusqu’à l’héroïsme. Incontestablement, ils sont un exemple pour chacun d’entre nous. Notre dévotion envers les saints revêt toujours un caractère de supplication : « Aidez-nous à pratiquer les vertus chrétiennes comme vous l’avez fait, aidez-nous à prendre l’Amour au sérieux et à L’aimer par-dessus tout. » Mais il y a plus. Les saints ont une envergure sociale, politique.

Ce sont les saints qui ont fait la chrétienté. Ce sont eux qui ont jeté les bases de la civilisation occidentale. Prenons l’exemple des religieux. Le rôle civilisateur des moines copistes, enlumineurs ou défricheurs est bien connu. En vérité, il est secondaire. La véritable influence des moines est ailleurs, elle réside dans leur sainteté. Le religieux est celui qui se met à l’école du Christ pour lui ressembler, avec tout ce que cela suppose de renoncement et d’héroïsme. Pour trouver Dieu, les moines fuient le bruit du monde et ses vanités et s’ensevelissent dans la solitude. Pas pour longtemps. Difficile de rester caché lorsqu’on pratique dans toute leur rigueur la pauvreté, la chasteté et l’obéissance évangéliques. La sainteté, ça ne passe pas inaperçu. Un monastère, même sans le vouloir, rayonne. Il attire vers lui les populations fascinées qui viennent se blottir autour de ce foyer de charité, pour en être irradiées. Petit à petit, de barbares qu’elles sont, ces âmes deviennent chrétiennes. Les vertus pratiquées par les moines sont contagieuses. La justice et la charité triomphent de la violence et de l’égoïsme. La femme et l’enfant, d’esclaves deviennent personnes à part entière, dès lors qu’elles sont aimées personnellement de Dieu et jouissent d’une destinée éternelle.

L’Europe serait bien inspirée de se souvenir de ses origines (hélas, il ne s’agit plus aujourd’hui que d’origines…). La simple mention des origines chrétiennes de l’Europe dans une constitution ou un traité européen semblerait aller de soi. Leur omission volontaire équivaut à un retour délibéré à la barbarie. Seulement voilà, il y a ce sacro-saint principe de laïcité. L’État se prétend incompétent en matière religieuse, incapable de connaître Dieu et par conséquent de re-connaître une religion comme vraie. La sphère religieuse devient strictement privée. Les citoyens peuvent adorer qui ils veulent, du moment qu’ils le fassent chez eux, dans leurs temples ou leurs mosquées. Ou n’adorer personne, sinon eux-mêmes. Comme si l’homme moderne était devenu schizophrène. Athée sur la place publique, dans les parlements et les gouvernements. Religieux s’il le veut quand il rentre chez lui.

Mais si Dieu est Dieu, c’est à dire créateur et maître de toutes choses, on ne voit pas du tout pourquoi la société ne lui serait redevable en rien. Lorsque Dieu crée Adam et Éve, il les crée dans l’unité d’un être concret et leur assigne une fin ultime déterminée qui est d’ordre surnaturel. Dieu crée l’homme animal politique et lui confère simultanément une vocation éternelle, rien moins que Le contempler face à face pour l’éternité. Dès lors, la société politique, l’État, et la société religieuse, l’Église, marcheront main dans la main pour assurer à l’homme la conquête de sa fabuleuse destinée. Main dans la main mais sans empiéter l’une sur l’autre : l’État se préoccupant directement du bien commun temporel, l’Église du bien commun éternel. Deux sociétés parfaites agissent ainsi de concert, chacune dans son domaine propre (ce qui d’ailleurs ne va pas sans difficulté, mais c’est un autre sujet). L’État, conscient de sa responsabilité immense de favoriser la vie vertueuse des citoyens et ainsi de leur faciliter l’obtention d’une vie éternelle qui le dépasse, fait de ses lois le reflet des lois divines. C’est cette évidence que le mythe révolutionnaire du laïcisme tente de balayer.

En 1925, le pape Pie XI clôture l’Année sainte en instituant la fête du Christ-Roi : elle devra se célébrer chaque année le dernier dimanche d’octobre et rappeler à tous la royauté sociale du Christ. L’Église ne rêve pas d’une monarchie théocratique universelle où le pape exercerait le pouvoir temporel suprême, tandis que les cardinaux se partageraient les portefeuilles ministériels. Ce n’est pas son domaine. Elle entend simplement rappeler les droits divins sur la société, dès lors que toute réalité humaine, tant individuelle que sociale, relève de Dieu créateur. Et de son Fils unique et consubstantiel, le Christ, qui par son sacrifice rédempteur s’est acquis sur l’humanité tout entière des droits imprescriptibles. Ces droits, toute communauté humaine se doit de les reconnaître.

Tout se tient. La fête de la Toussaint est précédée, quelques jours plus tôt, de celle du Christ-Roi. La multitude colorée des saints fêtés le 1er novembre rend hommage au Christ dans sa royauté. Leur sainteté personnelle, ferment de civilisation chrétienne, a fait avancer son règne ici-bas.

Pour aller plus loin : Pie XI, encyclique Quas primas sur le Christ-Roi.

ab FG

Illustration: Le père Miguel Pro, bienheureux, icône du mouvement Cristeros au Mexique, martyre de la barbarie anti-chrétienne, quelques secondes avant d’être fusillé. Il tient son chapelet en main et mourra en criant: « Viva Cristo Rey !« , « Vive le Christ-Roi !«