Weltwoche: La paternité incomplète de Darbellay

La traduction de l’article défendu en exclusivité.

« Il n’y a jamais eu de relation père-fils »

En 2016, Christophe Darbellay confessait publiquement une relation extra-conjugale ayant porté des fruits. Dans les foyers, cela a touché. Mais quand il s’est agi de payer, le politicien spécialiste des questions familiales et actuel conseiller d’Etat valaisan ne s’est pas montré trop généreux, comme le montrent des documents judiciaires. Par Alex Baur

Le petit n’avait pas une semaine quand, le 11 septembre 2016, Christophe Darbellay s’adonna à des confessions publiques dans le Sonntagsblick : «&nbspEn décembre dernier, juste avant de terminer mon mandat à Berne, j’ai passé une nuit avec une femme et commis une grave erreur.&nbsp» Figure importante du PDC, valaisan d’origine, il larmoie dans cet article qu’il avait attendu le tout dernier moment pour avertir sa femme tant l’aveu de son infidélité lui était douloureux. Mais c’est ensemble qu’ils allaient gérer cette «&nbspdifficile épreuve&nbsp» : «&nbspAvant même sa naissance, j’ai reconnu officiellement l’enfant et j’ai réglé mes obligations financières.&nbsp»

Le lendemain, dans le Blick, Christophe Darbellay en rajoutait une couche : «&nbspJe serai là pour l’enfant.&nbsp» Il apparut également dans la Schweizer Illustrierte, un magazine qui avait déjà, par le passé, à plusieurs reprises, eu accès à l’intimité de la vie de famille du politicien. L’hebdomadaire se montra compatissant. Christophe Darbellay y confirma qu’il serait là pour son fils et «&nbsppas uniquement sur le plan financier&nbsp».

L’affaire tombait particulièrement mal : le Valais se trouvait à la veille des élections au Conseil d’Etat. Mais ces aveux publics ne nuisirent pas au candidat Darbellay, bien au contraire. En mai 2017, le favori du PDC se fit élire sans difficulté au gouvernement. Il faut dire que Christophe Darbellay se garda bien d’alimenter le sujet durant sa campagne. Quoi qu’il en soit, le très catholique canton du Valais se montra prêt à pardonner le pécheur.

Le 3 février 2017, Christophe Darbellay, sûr de lui, avait accueilli le journaliste de la Schweizer Illustrierte avec cette phrase provocante : «&nbspQue celui qui n’a jamais péché me jette la première pierre.&nbsp» Il avait à nouveau répété qu’il allait «&nbspassumer ses responsabilités&nbsp». De toute évidence, à ce moment-là, il ne savait-il pas lui-même exactement ce que cela voulait dire. En effet, le jour même où le magazine était distribué dans les boîtes aux lettres, il envoyait au Tribunal de district de Dallas County, dans le Texas, une déclaration écrite (unsworn declaration) en lien avec une dispute judiciaire portant sur la reconnaissance du bébé âgé alors de six mois. Les documents de cette procédure sont en possession de la Weltwoche.

La mère de l’enfant de Christophe Darbellay est américaine. Quelques semaines après son accouchement, elle retourna vivre aux Etats-Unis. Le 15 novembre 2016, elle a déposé à Dallas County une plainte en paternité exigeant une contribution d’entretien pour l’enfant. Fin 2016, la justice américaine la fit transmettre à l’adresse privée du politicien valaisan à travers une demande d’entraide internationale.

Dans la déclaration écrite que Christophe Darbellay, entré dans l’intervalle au gouvernement valaisan, remet le 11 juillet 2017 au tribunal américain, il réfute «&nbspla paternité selon le droit texan&nbsp». On peut y lire la phrase suivante : «&nbspIl n’y a jamais eu de relation père-fils&nbsp» (I deny that a father-child relationship has ever been established between me and the child). Il ajoute que la mère de l’enfant s’est rendue aux Etats-Unis sans son accord. A titre de preuve, Christophe Darbellay produit au dossier un email du 28 avril 2017 dans lequel la mère explique qu’elle est retournée aux Etats-Unis parce que la vie en Suisse est tout simplement trop chère pour elle et son fils. Le 20 juillet, le tribunal de Dallas donne raison à Christophe Darbellay et rejette la plainte.

Pension alimentaire de 1400 francs par mois

Où en est-on aujourd’hui ? Christophe Darbellay n’a pas souhaité s’exprimer dans la Weltwoche. A travers son avocat, qui a immédiatement brandi la menace de plaintes, il nous a fait savoir ceci : «&nbspComme vous le savez, mon client a officiellement reconnu son fils naturel avant sa naissance auprès de l’Office bernois d’état civil. Il possède un passeport suisse et certificat de naissance. La déclaration écrite de septembre 2016 que vous mentionnez reste valable et il n’y a pas lieu de la compléter&nbsp», car tout le reste relève de la sphère privée.

Selon une source proche de la mère, Christophe Darbellay s’acquitterait «&nbspdepuis quelques mois&nbsp» d’une pension alimentaire de 1400 francs par mois pour son fils âgé aujourd’hui de deux ans et demi. Christophe Darbellay ne souhaite ni confirmer ni démentir ce montant.

Mais comment en est-on arrivé à cette détestable dispute s’il est vrai que Christophe Darbellay a bien, conformément à ses aveux publics, entièrement reconnu et réglé ses obligations avant même la naissance de l’enfant ?

L’email du 28 avril 2017 que Christophe Darbellay a produit devant la justice américaine fournit une explication possible. Dans ce mail, la mère affirme que la dernière fois que Christophe Darbellay a pris des nouvelles de son fils, c’était trois semaines après sa naissance (début septembre 2016), et elle s’en plaint. Elle ajoute que la somme de «&nbspmoins de 5000 francs&nbsp» qu’il lui a versée au total ne suffit pas pour vivre dans un pays aussi cher que la Suisse, et qu’elle a compris depuis longtemps qu’il ne voulait rien avoir à faire avec son fils. Elle explique avoir déposé sa plainte au Texas afin de pouvoir disposer seule de l’autorité parentale. Elle considère également qu’il serait normal qu’il verse une pension à l’enfant – au lieu que cet argent aille à des avocats.

Dans un allemand approximatif, elle lui adresse de graves reproches, en particulier de ne pas vouloir payer pour l’assurance maladie et l’éducation de son fils, et de ne pas vouloir le reconnaître comme son héritier légitime. Elle ajoute que si la question de ses obligations de père ne sont pas réglées au Texas, elle se verra contrainte de demander à son avocate à Berne de déposer plainte en Suisse.

Selon nos recherches, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) a été impliquée dès le début. Il ne nous a pas été possible de savoir quels types d’accord ont été passés. Un blog que la mère de l’enfant entretenait à intervalles très irréguliers durant sa grossesse permet de deviner que les tensions n’ont pas commencé avec la naissance de l’enfant. Elle y dit en effet «&nbspavoir compris au troisième mois de sa grossesse&nbsp» que son enfant grandirait sans père. Méthodiste de confession, elle se refuse à envisager un avortement. Elle enrage tout particulièrement lorsqu’elle lit les confessions publiques de Christophe Darbellay affirmant avoir commis «&nbspune grave erreur&nbsp» : «&nbspMon fils n’est pas une erreur, c’est un cadeau ! »

En août 2017, juste après le rejet de sa plainte au Texas, l’Américaine donne libre cours à son mécontentement sur son blog. Elle écrit en avoir marre des mensonges. Elle explique avoir dû quitter la Suisse parce qu’elle n’avait plus les moyens de payer son appartement après la naissance de son fils, mais surtout parce que le petit aurait eu besoin d’une famille qui l’aime, ce qui n’était pas le cas en Suisse. Raison pour laquelle elle est retournée auprès de ses parents au Texas.

Dribbler les lois de son pays

L’Américaine espérait-elle obtenir une pension plus élevée aux Etats-Unis ? Consultés, plusieurs avocats doutent que les contributions d’entretien pour un enfant illégitime puissent être plus élevées aux Etats-Unis qu’en Suisse. En 2015, sous la houlette du PDC, qui se profile comme le parti de la famille traditionnelle, une nouvelle réglementation est entrée en vigueur. Elle étend aux enfants illégitimes le droit de percevoir, en plus des contributions en nature et d’une pension, une contribution de prise en charge. Il ressort des procès-verbaux des séances que, lorsqu’il était présent, le conseiller national Christophe Darbellay vota en faveur de ce projet de loi à chaque étape, puis au vote final.

Le 10 janvier 2017, l’avocate bernoise Anna Murphy a calculé pour la Berner Zeitung («&nbspLes pères non mariés vont devoir passer à la caisse ») les conséquences de la nouvelle loi pour un père de bonne situation. Elle parvient à la conclusion que s’il payait auparavant 1400 francs par mois pour son enfant illégitime, il devrait à l’avenir en débourser 3900 francs.

Ce que l’article ne dit pas, c’est que, par le plus grand des hasards, Anna Murphy représente la mère de l’enfant dans le dossier Darbellay. Ce qui n’empêche pas la Berner Zeitung de lui demander ce qu’elle en pense. Réponse de Anna Murphy: «&nbspDans un tel cas, tous les juges diront la même chose : un politicien démocrate-chrétien ne peut vouloir qu’une chose, à savoir que son enfant ne soit pas élevé par des tiers.&nbsp» Dans le dossier Darbellay, un tel juge n’apparaît nulle part.