Vendanges amères : Quand l’Etat ne veut pas lâcher la grappe

Les professionnels de la vigne et du vin tirent la sonnette d’alarme, 2019 s’annonce ardue, et il n’est pas dit que toute vendange trouve preneur. Le pressoir médiatique a tôt fait d’accabler les grandes surfaces, lesquelles couleraient sous un stock de 60 millions de litres rien que pour les vins valaisans. Prix trop hauts, capitalisme coupable, tout y passe. Mais il est un sujet que personne n’évoque, celui de la charge que l’Etat fait peser sur une économie fragile. De quoi passer enfin de la récolte à la révolte ?

Soyons francs, qui n’a jamais prétexté d’un pèlerinage aux absidioles du Brionnais pour aller s’échoir au comptoir de quelque vigneron des côtes de Nuit, porté par une soudaine spirituosité, ou dans les tavernes oubliées des environs de Beaune. Là, ce sont Roger, Pierre, Paul, Jacques et Jean, tous fils de leurs pères, qui, le tire-bouchon à la main, avec de grands gestes, vous racontent immanquablement la même histoire, la pétasse sur le bouchon leur pompe l’air et le reste. La Marianne des cachets de l’Etat siphonne, paraît-il, 95% de la recette, ce qui est cher pour une fille qui ne dit même pas merci. Du coup, on fait les ronds-points, on se suicide, c’est la mode, on vend sa terre aux Russes, aux Chinois, aux Japonais, ce qui est pire.

On opine du bonnet, le verre à la main, à chaque fois que le bonhomme nous chante la sagesse helvétique de n’être point entré dans le manège bruxellois, et l’on sirote son nectar surtaxé, avec des mines de sénateur, en se disant qu’ils sont décidément fous ces Gaulois et qu’il n’a pas tort, le bougre, y en n’a point comme nous.

Mais, au fait, comment ça se se passe chez nous ?

Chez nous

Et bien, disons que le génie de la taxe n’est pas le même. En France, c’est une mégère obèse, acariâtre, le rouleau à pâte bien en main. En Suisse, c’est plus subtil, la cadre fonctionnaire zurichoise de 40 ans, cambrée, sans enfants, les cheveux lisses, peroxydés, en tailleur Vögele et fausses Louboutins de chez Zalando. C’est discret, presque souriant, mais, quand elle parle, ça fait mal.

Avant même d’avoir vendu sa première bouteille, le noble fils de Théodule (patron des vignerons) aura, dans des délais record – il n’y a que les Français pour penser que nous sommes lents – rempli la paperasse chérie de notre administration bien-aimée qui lui ouvrira les portes du monde merveilleux de la taxe cumulée.

On ne va pas vous mentir, le Bafweb ne compte pas d’experts en taxologie, et le pinard (au sens noble du terme), on préfère en parler que le boire… non… l’inverse. Alors nous sommes allés à la rencontre des Pierre, Paul, Jacques et Jean  de ce côté-ci du monde libre, pour leur demander de nous expliquer. On n’a pas pris le temps de tout vérifier, on leur fait confiance, on n’a pas non plus la prétention d’être exhaustif, mais, si c’est vrai… et bien ça fout les jetons.

Le fait est qu’il y en a beaucoup, on vous le met quand même :

  • AVS (annonce nouveaux collaborateurs, décompte mensuel et récapitulatif annuel).
  • SUVA.
  • LAMAL (pour ouvriers agricoles de courte durée).
  • TVA (décompte trimestriel et révision chaque 5 ans).
  • CSCV (Contrôle Suisse du Commerce des Vins) = contrôle de cave.
  • Régie fédérale des alcools (pour les détenteurs d’alcools forts).
  • Police du commerce (licences de débit de boissons et caveaux).
  • Services de l’hygiène (laboratoire cantonal, prise d’échantillons).
  • Office du travail (inspection à la vigne des collaborateurs étrangers, aux effeuilles et vendanges).
  • Grands Crus (contrôle vigne, commercialisation et traçabilité ; dégustation).
  • Contrôle des vignes par IVV.
  • Contrôle PI (production intégrée).
  • Contrôle passeport phyto-sanitaire ZP-d4 pour les greffons des vignes transformées, pour la pépinière.
  • Contrôle fiduciaire.
  • Contrôle organe de révision.
  • Contrôle et visite apprenti par la commission d’apprentissage.
  • Contrôle des vignes renouvelées par le service de la viticulture.
  • Contrôle obligatoire des pulvérisateurs (tous les 4 ans, annuel pour Vitiswiss).
  • Permis poids-lourds, transport personnel D1 (+9 personnes) et véhicules utilitaires pour le personnel.
  • Permis d’élévateur-gerbeur clark.
  • Contrôle de la sécurité au travail.
  • Contrôle norme compresseur.
  • Contrôle poids et mesure du poids des vendanges (annuel).
  • Contrôle poids-lourds (expertise annuelle avec camion chargé).
  • RLPL (chaque mois envoi de la carte avec kilomètres parcourus).
  • Contrôle des véhicules pour le transport du personnel et amarrage de la marchandise.
  • Contrôle des installations électriques par l’OBIT (après chaque modification effectuée par un électricien professionnel).
  • Contrôle de tous les extincteurs ECA du bâtiment par la société agréée et du véhicule poids lourd.
  • OFS : Office fédéral de la statistique (enquête obligatoire pour la mise à jour du registre des entreprises, statistique sur les investissements, etc.).
  • Emolument sur évaluation de la charge maximal d’endettement par le service de l’agriculture sur terre agricole selon le droit foncier rural.
  • Réception des acquits par les propriétaires de vignes pour donner droit à livrer la vendange auprès d’une cave.
  • Relances répétitives par les vignerons et encaveurs pour recevoir les acquits des propriétaires de vigne louées.
  • Enregistrement à la cave des acquits sur le programme valaisan e-vendange.
  • Transmission des données e-vendange courant novembre auprès du laboratoire cantonal valaisan.
  • Taxe et émolument lors d’un transfert viticole.
  • Taxe de la commission suisse du commerce des vins.
  • Taxe IVV sur le nombre de m2 en propriété.
  • Taxe IVV sur le nombre de kilo encavé.
  • Taxe IVVS sur les m2 en propriété.
  • Taxe de contrôle de l’AOC par le laboratoire cantonal (par vin prélevé).
  • Taxe de l’association des encaveurs (en général par ville ou village).
  • Taxe sur les vignes commercialisées Grands Crus.
  • Taxe sur les bouteilles commercialisées Grands Crus. 
  • Police du commerce (frais de dossier pour l’obtention de la licence).
  • Taxe pour l’apprentissage des cavistes AISCV.
  • Taxe TEA (taxe d’élimination anticipée de 6 cts sur chaque bouteille neuve de 70 cl).
  • Taxe Billag.
  • Taxe pour la pose de panneaux publicitaires sur propre bâtiment.
  • Taxe autoroutière (vignettes pour tous les véhicules et remorques).
  • Taxe poids-lourds RLPL.
  • Taxe véhicules automobiles à moteur.
  • Taxe poubelle entreprise + taxe au sac.
  • Taxe d’évacuation des déchets (verre, cartons, ferraille, bois, etc.).
  • Taxe eau annuelle.
  • Taxe d’irrigation des vignes.
  • Taxe d’autorisation de construire lors de surface au-delà de 500 m2 et au-delà de 1,50m de hauteur.
  • Assurance grêle (facultatif).
  • Assurance RC entreprise, vol et effraction.
  • Système de sécurité avec alarme (nécessaire pour les assureurs).
  • Cours OACP (ordonnance pour l’admission des chauffeurs poids-lourds) = 250.- par an.
  • Cotisation Vitiplus (300.-/année) formation continue.
  • Paiement annuel pour l’inscription du nom de domaine Internet.
  • Frais de conseils, avocats, juristes (de plus en plus nécessaire).
  • Participation aux différents concours.
  • Grand Prix du Vin Suisse pour l’IVV ? (130.- par vin).

Et encore :

  • Inventaire détaillé des stocks de vins valaisans au 31 décembre auprès du laboratoire cantonale.
  • Inventaire des stocks de vins au 31 décembre à la commission fédérale des vins suisses.
  • Inventaire détaillé et chiffré du matériel et stock pour la comptabilité financière au 31 décembre.
  • Registre cantonal des vignes, modification au 31 mai + justificatif à transmettre.
  • Dossier PI (Production intégrée).
  • Analyses de terre de chaque zone obligatoire tous les 10 ans.
  • Décompte mensuel ou trimestriel (selon les cantons) de l’impôt à la source (anc. annuel, puis semestriel).
  • Expertise fiscale si vous avez la chance d’être dans le radar du fisc et de gagner votre vie.
  • Expertise des véhicules.
  • Obligation du maintien des murs en pierres sèches en général tout à la charge du propriétaire après de beaux discours politique pour la qualité du paysage.

Etc., etc.

Vous pensiez goûter au fruit de la vigne et du travail des hommes, le soleil du coteau, la sueur sur le cuir tanné du vigneron suisse aux bras noueux, son beau regard clair jusqu’au ciel là-haut. Vous ignoriez simplement qu’il s’agissait du plus pur concentré de la technologie fiscale de notre glorieuse nation, monté par une armada de tabellions bernolâtres gavés à la camomille par gallons dans un monde où celui qui ne gagne pas son pain à la sueur de son front finit toujours par l’emporter.

Mais, bon sang, où es-tu ? Où es-tu vigneron ?

Noël Macé & Geroges-Marie Dréselles

 

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